Charles Le Goffic, né en 1863 et mort en 1932, a consacré sa vie d’écrivain à célébrer la Bretagne, sa terre natale. Poète, romancier, essayiste, il a essayé, à travers des œuvres comme ses Poésies complètes de 1922, L’Âme bretonne (série 4, 1908), Sur la côte de 1896 ou encore Fêtes et coutumes populaires de 1911, de redonner vie à ce qu’il nomme l’âme bretonne : une essence faite de communion avec la nature, de mémoire celtique, de foi profonde et d’une résistance farouche face à l’oubli. Progressivement réduite à un exercice de style purement littéraire sur fond de quête d’intégration dans la société littéraire parisienne, Le Goffic a paradoxalement trahi l’âme bretonne qu’il disait défendre.
Une terre et une mer qui façonnent l’âme bretonne
Membre de l’Union Régionaliste Bretonne (URB), fondée en 1898 par Anatole Le Braz, aux côtés d’autres figures comme Frédéric Le Guyader et Louis-Albert Bourgault-Ducoudray, Le Goffic se situe à la jonction d’une Bretagne tiraillée par la guerre civile héritée de la Révolution française entre monarchistes, attachés à la tradition, et révolutionnaires, adeptes d’une modernisation radicale qui rime avec francisation à outrance. Quoique républicain, Le Goffic se rapproche de Charles Maurras, séduit par le fédéralisme royaliste qu’il propose et qui lui semble en mesure d’intégrer le peuple breton et respecter son âme propre.
Pour Charles Le Goffic, l’âme bretonne est indissociable de la terre et de la mer, ces forces qui donnent au Breton son identité et sa force. Dans Poésies complètes (1922), le poème Printemps de Bretagne (Le Bois dormant) exprime cette communion profonde :
Une aube de douceur s’éveille sur la lande,
Et l’ajonc refleurit dans l’Armor triomphant.
La mer chante au loin sa vieille complainte grande,
Et l’âme de la race en nous vibre et s’éprend.
Ces vers dépeignent la Bretagne comme une entité vivante, où la lande, l’ajonc et la mer éveillent une « âme de la race », une identité collective forgée par le paysage. La mer, en particulier, est une présence constante, un miroir de l’âme bretonne. Dans L’Âme bretonne (1908), Le Goffic écrit :
La mer, autour de nos côtes, parle à l’âme bretonne un langage éternel.
Ce « langage éternel » suggère une connexion spirituelle entre le Breton et son environnement. Les gardiens de phares, figures emblématiques, incarnent cette résilience face à l’immensité :
Ces gardiens, dans leur solitude, semblent communier avec l’invisible, défiant la mer qui gronde.
Le phare, dressé contre les tempêtes, symbolise un peuple ancré, patient, défiant les éléments.
Une mémoire celtique vivante, mais sans révolte
L’âme bretonne, selon Le Goffic, est aussi un héritage celtique, un passé de druides et de bardes qui résonne encore. Dans Poésies complètes, le poème L’île des sept sommeils (Le Bois dormant) évoque l’île de Sein, où paganisme et christianisme coexistent :
Sur l’île des sept sommeils,
Où les druides chantaient leurs mystères,
La croix s’est levée, mais l’antique voix
Murmure encore sous les pierres.
Ces vers traduisent une vision où le passé celtique persiste, murmuré « sous les pierres », malgré l’arrivée du christianisme. Cette continuité est centrale pour Le Goffic, comme il l’écrit dans L’Âme bretonne :
L’âme bretonne porte encore l’écho des bardes, dans les chansons des vieilles et le souffle du vent sur les menhirs.
Ce passage souligne que les Bretons sont les héritiers d’un passé mythique, vivant dans les chansons et les menhirs. Mais cette mémoire, si poétiquement célébrée, reste dépourvue de revendication. À une époque où l’État français mène une campagne inédite de répression culturelle et linguistique contre le peuple breton, Le Goffic se contente de glorifier un passé folklorique, sans appeler à sa préservation active face à l’assimilation française. Cette absence d’engagement politique trahit l’âme bretonne qu’il prétend honorer.
Une foi bretonne vibrante, mais apaisée
La spiritualité est un pilier de l’âme bretonne pour Le Goffic, particulièrement dans les pardons, ces fêtes religieuses où le peuple se rassemble. Dans L’Âme bretonne, il décrit leur importance :
Les pardons bretons, où le peuple prie sous les bannières, sont l’expression d’une foi qui ne s’éteint pas.
Ces pardons incarnent une foi bretonne unique, mêlant christianisme et échos celtiques, où le peuple prie en communauté, renforçant son identité. Dans Poésies complètes, le poème Sur un livre breton évoque cette âme spirituelle :
Et c’est ton âme triste et douce,
Toute ton âme, ô mon pays,
Qui pleure ainsi parmi la mousse
Et chante ainsi dans les taillis.
Cette « âme triste et douce » reflète une spiritualité bretonne empreinte de nostalgie et de ferveur. Mais cette foi, si vibrante, est dénuée de révolte. Le Goffic ne lie jamais ces rituels à une résistance culturelle contre la France, qui marginalisait la Bretagne, son peuple, sa culture. Son portrait des pardons reste contemplatif, sans jamais en faire un symbole de lutte pour l’identité bretonne, ce qui reflète son loyalisme envers un État qui tolérait ces traditions tant qu’elles restaient inoffensives.
Une résilience bretonne glorifiée, mais trahie par le loyalisme
Le Goffic dit admirer la résilience bretonne, qu’il compare à la solidité des menhirs. Dans L’Âme bretonne, il écrit :
La Bretagne, comme ses vieux menhirs, résiste au temps et garde son âme intacte.
Le Goffic, malgré ses poèmes exaltant la Bretagne et la résilience de l’âme de son peuple, s’est pourtant aligné sur les intérêts de la bourgeoisie française, refusant de dépasser le registre romantique, mais aussi d’écrire en breton — choix révélateur et rédhibitoire. À une époque où l’État français imposait sa langue et sa culture dans les écoles bretonnes, réprimant le breton, il fait le choix de l’obséquiosité.
Le Goffic préfère une Bretagne romantisée et inoffensive à une Bretagne combattante et luttant pour sa liberté nationale. Fermant les yeux sur l’oppression culturelle ; il a activement courtisé les honneurs d’un régime qui méprisait et combattait sans restriction la Bretagne. Membre de l’Académie française dès 1930, il a accepté les médailles et les titres d’une institution qui incarnait à l’antithèse de la Bretagne et de son âme. Ses prix littéraires – Montyon pour Le Crucifié de Kéraliès (1892), Sobrier-Arnould pour Sur la côte (1896) – témoignent de son intégration dans l’élite parisienne, loin de la Bretagne dont il parle, préfigurant en cela un Jakez-Hélas.
Mais c’est avant cela que le loyalisme de Le Goffic atteint son paroxysme, soutenant avec ferveur l’impérialisme français lors de la Première Guerre mondiale. Il s’engagea comme « barde des armées » à l’âge de 46 ans, en 1914, au sein du 41e régiment d’infanterie de Rennes, effectuant des tournées sur le front, notamment auprès des troupes bretonnes, et publia des recueils comme Les Chants au bivouac (1915), Les Chansons de route (1916) et Les Refrains de guerre (1917). Ces œuvres mêlent patriotisme français et fierté bretonne, illustrant la contradiction de son engagement.
Dans Dixmude (1915), il glorifie les fusiliers marins bretons, célébrant leur sacrifice avec un patriotisme exalté :
Les fusiliers marins, par leur sacrifice, ont écrit une page glorieuse dans l’histoire de la France.
Ce ton nationaliste ignore le coût humain pour la Bretagne, dont les jeunes furent envoyés en masse au front, fauchés pour une cause française qui ne les concernait en rien. Les Bretons, souvent paysans ou pêcheurs, ont payé un tribut disproportionné, leur langue et leur culture étant encore plus marginalisées après la guerre. Le Goffic, au lieu de dénoncer cette hécatombe, s’est fait le chantre d’une France impérialiste, glorifiant des batailles qui servaient des intérêts coloniaux étrangers. Dans le désuet Bourguignottes et pompons rouges (1916), il enfonce le clou :
Dans cette guerre, chaque province de France a donné son sang pour l’unité de la nation.
Le temps, imperturbable, éprouve les hommes comme leurs oeuvres. Celle de Goffic n’y résiste que mal. En exaltant la plus désastreuse guerre de l’histoire bretonne depuis l’annexion de la Bretagne, en cherchant la reconnaissance d’un État qui s’employait, et s’emploie toujours, à détruire la culture qu’il disait défendre dans son oeuvre, Le Goffic a abandonné les Bretons qu’il prétendait aimer, allant jusqu’à exalter le carnage de masse sur l’autel du nationalisme français.
Aujourd’hui, que reste-t-il de Le Goffic ? Quatre noms de rues, dont une à Paris, et celui d’un collège. Constat cruel : dans l’âme des Bretons, Goffic a échoué à vivre. Quant aux Français qu’il a courtisés, ils l’ont depuis longtemps oublié.
Olier Kerdrel
Sources :
- Poésies complètes (1922), Internet Archive.
- L’Âme bretonne, série 4 (1908), Internet Archive.
- Sur la côte (1896), extraits sur LillOnum.
- Fêtes et coutumes populaires (1911), extraits sur Babelio.
- Brocéliande (posthume), extraits via Encyclopédie de Brocéliande.
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