Emsav : 8 décembre 1877, naissance de Paul Émile Ladmirault, compositeur breton et défenseur de la Bretagne nationale

EMSAV – Paul Émile Ladmirault (1877-1944) fut un compositeur et professeur de musique breton, mais aussi un fervent militant de la cause bretonne, engagé dans la défense de l’identité culturelle et linguistique de la Bretagne. Né à Naoned (Nantes) dans une famille bourgeoise, il incarna toute sa vie l’attachement viscéral à ses racines armoricaines, apprenant le breton dès l’enfance et consacrant une grande partie de son œuvre et de son militantisme à la renaissance celtique. Sa biographie illustre le rôle des intellectuels et artistes bretons de l’entre-deux-guerres dans la promotion d’une émancipation nationale et culturelle de la Bretagne, à travers la musique, les associations et les publications.

Jeunesse et formation

Paul Ladmirault voit le jour le 26 mars 1877 à Naoned (Nantes), dans une famille aisée : son père, Émile Ladmirault, est négociant et raffineur de sucre, tandis que sa mère, Louise Bournichon, l’initie tôt à la musique. Dès l’âge de huit ans, il compose ses premières pièces pour piano, orgue et violon, démontrant un talent précoce. À onze ans, il achève une sonate pour violon et piano.

Élève au lycée Clemenceau, il s’intéresse déjà à l’histoire bretonne : à seize ans, en 1893, il compose son premier opéra en trois actes, Gilles de Rais, inspiré de la figure tragique du maréchal breton, et le fait représenter le 18 mai de la même année à la salle des Beaux-Arts de Nantes. Passionné par la langue et la culture bretonnes, il apprend le breton dans sa jeunesse, ce qui le distingue des autres artistes de son époque.

En 1895, il intègre le Conservatoire de Paris, où il étudie l’harmonie avec Antoine Taudou, le contrepoint avec André Gedalge, et la composition avec Gabriel Fauré à partir de 1897. Parmi ses condisciples figurent Maurice Ravel, Florent Schmitt et Charles Koechlin. Il orchestre plusieurs ouvrages de Fauré et gagne une réputation de musicien talentueux. Pourtant, malgré les opportunités parisiennes, son ancrage breton reste fort : en 1908, il est admis comme barde au Gorsedd de Bretagne (la fraternité des druides, bardes et ovates, inspirée des traditions celtiques galloises), adoptant le nom bardique d’Oriav (l’épervier, symbole de vigilance et de liberté). Cet intronisation marque le début officiel de son engagement public pour la culture celtique.

Carrière musicale

Après ses études, Ladmirault retourne en Bretagne, refusant l’ascension fulgurante à Paris pour privilégier ses racines. En 1920, il est nommé professeur de contrepoint et de fugue au Conservatoire de Naoned (Nantes), poste qu’il occupera jusqu’à sa mort. Cette décision reflète son rejet du centralisme culturel français : il préfère enseigner en terre bretonne et infuser ses cours d’une sensibilité bretonne. Son style musical évolue après la Première Guerre mondiale vers une introspection mélancolique, accessible et imprégnée de folklore celtique, influencée par les compositeurs russes comme le Groupe des Cinq.

Il compose peu d’œuvres religieuses – une messe brève pour l’ordination de son fils Daniel en 1930, et un Tantum ergo – mais excelle dans les arrangements de chants bretons traditionnels, comme Veillée de Noël (Noz-Nedeleg) en collaboration avec Erwan Berthou en 1932.

Engagement breton et culturel

Militant nationaliste convaincu, Ladmirault dénonce régulièrement le centralisme parisien qui étouffe les identités des peuples de l’Hexagone. Parlant couramment le breton, il s’engage dans plusieurs mouvements phares de la renaissance bretonne. En 1912, aux côtés de Louis Aubert, il cofonde l’Association des Compositeurs Bretons (surnommée « Les Huit » ou « La Cohorte bretonne »), regroupant Guy Ropartz, Paul Le Flem, Charles-Augustin Collin, Maurice Duhamel, Paul Martineau et Louis Vuillemin. Ce groupe, inspiré des nationalistes russes, vise à promouvoir une musique bretonne authentique, indépendante des modes parisiennes ; hélas, il s’essouffle avec la Grande Guerre.

De retour en Bretagne après 1918, il devient l’un des premiers compositeurs du groupe artistique Seiz Breur (« Les Sept Frères »), fondé en 1923, qui prône un renouveau des arts inspirés des traditions celtiques. Avec des figures comme Georges Arnoux et Paul Le Flem, il y contribue à des projets exaltant l’âme bretonne.

En 1929, il crée le Cercle Celtique de Nantes avec Édouard Guéguen, dont il dirige la chorale. Il y travaille à la traduction de textes anciens gallois, publiant en 1931 Le Livre du Bardisme ou Abrégé du Barddas, un ouvrage ésotérique qui renforce les liens entre traditions celtiques. Il est également abonné et contributeur au journal nationaliste Breiz da Zont (« Bretagne de l’avenir ») et publie en 1928 un manifeste dans la revue Kornog pour une musique bretonne basée sur les échelles pentatoniques et le folklore populaire. Il adhère au Parti National Breton dont il représente l’élite intellectuelle et artistique.

Ses articles dans divers périodiques bretons et français défendent une « musique provinciale » authentique, contre les « arrivistes » parisiens.

Modeste et ermite, il se retire dans son « ermitage » de Kerbili à Camoël (Morbihan) à partir des années 1930, où il poursuit ses recherches culturelles jusqu’à sa mort.

Œuvres principales

Ladmirault a composé une quarantaine d’œuvres, dont une majorité inspirées de la Bretagne et du monde celtique, servant de vecteur à son militantisme :

  • Suite bretonne (1903), évocation symphonique des paysages armoricains.
  • Myrdhin (opéra inachevé, 1902-1909, sur Merlin l’Enchanteur ; créé en 2015).
  • Brocéliande au matin (poème symphonique, 1909), inspiré de la forêt légendaire bretonne.
  • Rapsodie gaélique (1909, six mouvements), mélange d’airs celtiques.
  • La Prêtresse de Korydwen (ballet, créé à l’Opéra de Paris en 1926).
  • Tristan et Iseut (musique de scène pour la pièce de Joseph Bédier, 1929), exaltant le mythe celtique.
  • La Brière (poème symphonique, 1925, pour le film de Léon Poirier sur les marais bretons).
  • En Forêt (poème symphonique, créé en 1932).
  • Deux danses bretonnes (publiées posthumément), et divers arrangements de chants comme Six cantiques bretons du XVIIe siècle.

Ces compositions, souvent basées sur des thèmes folkloriques, visent à raviver l’identité bretonne.

Héritage

Paul Ladmirault décède le 26 août 1944 à Camoël, dans son ermitage, des suites d’une maladie. Son militantisme a joué un rôle clé dans la renaissance culturelle bretonne du XXe siècle, en reliant musique, langue et traditions celtiques.

Décrit par Florent Schmitt comme « le plus doué, le plus original, mais aussi le plus modeste » de sa génération, à Naoned (Nantes), la place Paul-Émile-Ladmirault lui rend hommage.

Son legs perdure : un hommage symphonique à Ladmirault lui a été rendu à Williamsburg le 25 octobre 2025 par l’orchestre universitaire de l’Université William & Mary, dirigé par David Grandis. La salle était comble, et les descendants de Ladmirault (dont son petit-fils Paul, président de l’Association des Amis de Paul Ladmirault) étaient invités depuis la Bretagne pour l’occasion. Le programme incluait des œuvres méconnues du compositeur, comme des extraits de sa Suite bretonne ou La Brière. 

Recevez notre newsletter par e-mail !

By La rédaction

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

×