La gentrification du mouvement des bagadoù, fondé par le nationaliste breton Polig Monjarret, est une évolution dégénérative dont il est nécessaire d’analyser la cause avant de songer à son dépassement.
Les Origines des Bagadoù : Un Projet Nationaliste Enraciné
Les bagadoù voient le jour dans les années 1940 sous l’impulsion de Polig Monjarret, figure majeure du renouveau culturel breton. Nationaliste breton convaincu, Monjarret s’inscrit dans l’Emsav, mouvement visant à défendre la langue, la culture et l’autonomie bretonne face à l’homogénéisation française. Inspiré par les pipe bands écossais, il crée les bagadoù pour moderniser la musique traditionnelle bretonne, centrée sur le couple biniou-bombarde, tout en lui donnant une forme collective et disciplinée. Comme il l’écrivait dans ses mémoires : « Il fallait redonner à la musique bretonne sa dignité, la sortir des clichés de l’arriération » (Monjarret, 1984, Trec’h ar son, p. 67).
Via le Bodadeg Ar Sonerion (BAS), fondé en 1943, Monjarret structure le mouvement en organisant des compétitions, des formations et des collectes de répertoires traditionnels. À leurs débuts, les bagadoù sont ancrés dans les campagnes bretonnes, portés par des musiciens ruraux, souvent bretonnants, issus de milieux populaires. « Les premiers bagadoù étaient des groupes de paysans, de pêcheurs, des gens du peuple qui jouaient pour leur communauté », note l’historien Yves Defrance (2004, La Musique bretonne, p. 112). Ces ensembles incarnent une résistance culturelle, dans un contexte où l’État français marginalise la langue et les pratiques bretonnes.
Monjarret, proche du Parti national breton (PNB), lie les bagadoù à une vision nationaliste, voyant dans la musique un outil de préservation identitaire et d’émancipation nationale. Après 1945, il recentre son action sur la culture, conservant l’idée d’une Bretagne enracinée. Les bagadoù deviennent un symbole de fierté bretonne, célébré dans des rassemblements comme les fêtes de Cornouaille à Quimper.
L’Institutionnalisation des Bagadoù : Subventions et Soumission
À partir des années 1960, les bagadoù évoluent sous l’effet de dynamiques sociales et économiques. Le soutien des collectivités locales et de l’État français, marque un tournant. Dès 1962, le ministère de la Culture, sous André Malraux, intègre la musique bretonne dans ses politiques de patrimonialisation, offrant des subventions au BAS pour organiser concours et formations. « Les subventions ont permis de professionnaliser les bagadoù, mais elles les ont aussi inscrits dans une logique institutionnelle », observe l’ethnomusicologue Jean-Jacques Castéret (2012, Patrimoine musical breton, p. 89). Ces financements transforment les bagadoù en acteurs du paysage culturel officiel, les éloignant de leur militantisme originel et, surtout, les placent en état de dépendance quasi exclusive vis-à-vis des forces politiques dominantes, généralement de gauche.
Le Festival Interceltique de Lorient, créé en 1971, amplifie cette institutionnalisation. Conçu pour promouvoir les cultures celtiques, il attire un public breton et international, faisant des bagadoù un spectacle plutôt qu’un acte de résistance culturelle. « Lorient a donné une vitrine aux bagadoù, mais les a aussi formatés pour un public extérieur », note l’historien Ronan Le Coadic (1998, L’Identité bretonne, p. 204). Les compétitions du BAS, comme le championnat national des bagadoù, deviennent des événements majeurs, mais leur professionnalisme exige des ressources financières et une organisation centralisée, renforçant la dépendance aux subventions dont le Parti socialiste devient le principal décideur. L’alignement financier devient progressivement politique et idéologique.
Cette période coïncide avec un renouveau folklorique, porté par le mouvement folk des années 1970. La musique bretonne, popularisée par des artistes comme Alan Stivell, séduit un public plus large, y compris en dehors de la Bretagne. Les bagadoù gagnent en visibilité, mais leur public et leurs musiciens s’élargissent à des profils urbains, souvent francophones, moins connectés au terroir breton, et encore moins soucieux des questions politiques et sociales qui touchent la nation bretonne. Ce phénomène marque le début d’une transformation sociologique profonde.
L’Appropriation Urbaine : Une Néo-Bourgeoisie de gauche
Les années 1970-1980 voient l’émergence d’une nouvelle catégorie de participants aux bagadoù : une classe moyenne urbaine, souvent installée à Rennes, Nantes ou Brest, qui adopte la musique bretonne comme un marqueur superficiel. Ces « néo-bretons », selon l’expression de Le Coadic (1998, p. 187), sont généralement francophones, éduqués, et issus de milieux professionnels (enseignants, fonctionnaires, artistes). Ils s’impliquent dans les bagadoù par attrait pour le folklore, sans nécessairement maîtriser la langue bretonne ou partager l’engagement nationaliste de Monjarret.
Cette appropriation culturelle s’accompagne d’une évolution idéologique. Si les bagadoù étaient initialement liés au nationalisme breton soucieux de préserver l’identité de la Bretagne, ils attirent après 1968 des militants de gauche, internationalistes et tiers-mondistes, influencés par des mouvements comme l’Union démocratique bretonne (UDB). Ces acteurs renient l’identité ethnique de la Bretagne pour lui substituer un fatras de conceptions gauchistes rejetant expressément l’enracinement culturel. « Les bagadoù sont devenus un terrain où s’expriment des visions concurrentes de la bretonnité », écrit Castéret (2012, p. 102). Cette ouverture dilue l’esprit militant originel, au profit d’une simple pratique musicale bourgeoise.
Sociologiquement, les bagadoù passent d’un mouvement rural à un phénomène urbain. Les musiciens, autrefois paysans ou artisans, incluent désormais des étudiants, des professionnels et des amateurs issus des grandes villes. Les écoles du BAS, implantées dans les centres urbains, forment une nouvelle génération de sonneurs, souvent déconnectée des réalités rurales. « La musique bretonne s’est urbanisée, et les bagadoù avec elle », constate Defrance (2004, p. 145). Cette urbanisation s’accompagne d’une esthétisation : les bagadoù deviennent un spectacle, mis en scène dans des festivals ou des défilés, loin des veillées communautaires d’antan.
Gentrification Culturelle : Un Fétiche Folklorique Contre la Bretagne
La gentrification culturelle est observable dans la manière dont une élite urbaine, francisée, s’est emparée de la musique bretonne pour en faire un symbole de loisir. Les bagadoù, autrefois portés par des communautés rurales et militantes, sont devenus un produit patrimonial, aseptisé, tourné vers le spectacle touristique, soutenu par des subventions conditionnées politiquement. La couche sociale qui s’en ait emparée l’a dénaturé, y injectant les idées ayant cours au sein de la bourgeoisie parisienne à laquelle elle s’identifie, consciemment ou non.
Cette dépendance financière a un coût : les bagadoù doivent répondre aux attentes des financeurs, qui privilégient des projets accessibles et consensuels. « Les subventions ont transformé les bagadoù en ambassadeurs d’une Bretagne touristique », remarque Le Coadic (1998, p. 211). Les festivals, comme Lorient ou Quimper, mettent en avant une image folklorique de la Bretagne, où les bagadoù incarnent une tradition figée, plutôt qu’un combat vivant pour l’identité nationale de la Bretagne.
Monjarret lui-même déplorait, à la fin de sa vie, une certaine dérive : « La musique bretonne doit rester l’expression d’un peuple, pas devenir un divertissement pour touristes » (Monjarret, 1984, p. 132). Les nationalistes perçoivent les bagadoù actuels comme un « fétiche folklorique », vidé de son sens originel et approprié par une élite urbaine cosmopolite non seulement déconnectée des racines bretonnes, mais activement hostile à ce que les Bretons soient les maîtres de leur patrie.
Les Bagadoù Aujourd’hui : Un Système en crise
Aujourd’hui, les bagadoù sont un marqueur d’une identité bretonne largement muséifiée, politiquement correcte, qui brode sur les thèmes de la gauche institutionnelle dont ils dépendant pour leurs financements. Sa composition sociologique conditionne cette dérive, notamment quant au dogme de l’immigration de masse, pilier fondamental du discours de la bourgeoisie urbaine.
Affectés par une grave crise de financements publics, les bagadoù voient cependant s’essouffler leur modèle d’intégration dans le système politico-administratif français. Professionnalisés, ils sont aussi largement intégrés dans l’univers plus large du « monde culturel » hexagonal sous contrôle idéologique parisien. La boboïsation du mouvement des bagadoù étant amplement achevée, la rupture avec le peuple breton ne manquera pas de s’exprimer à mesure que celui-ci rejette la dépossession dont il est victime et dont l’immigration de masse est le principal symptôme.
Les bagadoù, nés d’un projet enraciné et militant, sont devenus un outil au service d’une élite urbaine, francisée, qui fétichise et instrumentalise le folklore breton pour le retourner contre la Bretagne et son peuple, que paradoxalement elle méprise, afin de leur imposer le projet final du cosmopolitisme parisien : son remplacement par les masses du tiers-monde.
Pour les nationalistes, ce constat implique de créer les espaces artistiques où le combat national pourra pleinement se poursuivre en offrant aux Bretons les moyens d’exprimer leur culture en dehors des slogans aliénants de la gauche française dont la bourgeoisie loyaliste est le relais en Bretagne. Cela implique que les patriotes bretons se retrouvent pour former leurs bagadoù, loin du spectacle du tourisme de masse, et résolument tournés vers l’exaltation de l’âme bretonne, son élévation, et sa mobilisation en vue du combat pour la libération de la patrie. C’est l’initiative qu’a lancé l’association Sevenadur ha Istor relayée par le PNB ([email protected]).
Budig Gourmaelon
Références :
Defrance, Y. (2004). La Musique bretonne : Histoire et traditions. Paris : Skol Vreizh.
Castéret, J.-J. (2012). Patrimoine musical breton : Entre tradition et modernité. Rennes : PUR.
Le Coadic, R. (1998). L’Identité bretonne : Enjeux contemporains. Rennes : PUR.
Monjarret, P. (1984). Trec’h ar son : Mémoires d’un sonneur. Quimper : Bodadeg Ar Sonerion.
Recevez notre newsletter par e-mail !