Une tête décapitée dans les murs d’un fort celte cantabre : la preuve macabre de la conquête romaine de l’Espagne celtique

Les archéologues de l’équipe Heroica Archaeology, dirigés par Santiago Domínguez-Solera, viennent de mettre au jour un vestige aussi rare que glaçant : des fragments de crâne humain, blanchis et érodés, encastrés dans les décombres d’un mur effondré du castro de La Loma, un oppidum cantabre daté du IIᵉ-Iᵉʳ siècle av. J.-C. Tout indique qu’il s’agit d’une tête coupée exposée à l’air libre pendant des mois, voire des années, avant d’être intégrée aux ruines du rempart. Pour les chercheurs, il n’y a presque aucun doute : ce crâne est celui d’un guerrier cantabre décapité par les légions romaines lors des guerres cantabres (29-19 av. J.-C.), puis exhibé comme trophée macabre.

Le site de La Loma : un bastion cantabre face à Rome

Le castro de La Loma, situé sur une colline dominant la vallée du Guadalquivir supérieur, près de l’actuelle ville de Santisteban del Puerto (province de Jaén), est un des mieux conservés du nord de l’ancienne Bétique. Occupé dès le IVᵉ siècle av. J.-C., il atteint son apogée au IIᵉ siècle avec une superficie d’environ 7 hectares, entourée d’une puissante muraille en pierre sèche renforcée de tours semi-circulaires. Les Cantabres, peuple celtibère du nord-ouest et du nord-est de la péninsule (actuels Asturies, Cantabrie, nord de Palencia et Burgos), avaient étendu leur influence culturelle jusqu’en Andalousie septentrionale par des alliances et des migrations. La Loma était donc une position stratégique avancée, à la limite entre les mondes turdétan, celtibère et ibérique. C’est précisément cette position qui en fit une cible lors de la grande campagne de l’empereur Auguste contre les derniers peuples indépendants d’Hispanie.

La découverte : un crâne parmi les pierres

Date des différentes étapes de la conquête romaine

Lors des travaux de consolidation d’un tronçon de muraille effondré, les archéologues ont repéré, à environ 1,20 m du sol actuel, plusieurs fragments crâniens humains (calotte, os frontal, pariétaux et une partie de la base). Les os, totalement décolorés et fortement altérés par les intempéries, présentent des traces de fissures et de concrétions calcaires typiques d’une longue exposition aux éléments. Aucun autre reste post-crânien n’a été retrouvé à proximité, ce qui exclut quasiment l’hypothèse d’un enterrement classique.« Le crâne a manifestement été placé ou jeté là après avoir été exposé longtemps, probablement sur une pique ou accroché à la muraille elle-même », explique Santiago Domínguez-Solera. « On distingue encore, sur l’os frontal, des marques de coup net, compatibles avec une décapitation par glaive romain. »

La décapitation comme arme psychologique romaine

La pratique de la décapitation et de l’exposition des têtes ennemies est largement attestée chez les Romains, tant dans les sources écrites (Tite-Live, Strabon, Orose) que par l’archéologie. En Hispanie, les textes sont particulièrement explicites lors des guerres cantabres et astures : Florus (II, 33) rapporte qu’Auguste lui-même, présent en 25-24 av. J.-C., ordonna de couper les têtes des prisonniers et de les exposer le long des routes. Orose (VI, 21) précise que les Romains « suspendaient les têtes des ennemis aux portes des camps et des villes conquises ».

Chez les peuples celtes et celtibères, la tête était déjà un symbole sacré (culte des têtes coupées bien documenté en Gaule et en Ibérie). Les Romains retournèrent délibérément cette symbolique contre eux : exhiber la tête d’un guerrier cantabre, peuple réputé pour sa férocité, était une humiliation suprême et un avertissement terrifiant aux survivants.

Datation et contexte historique

Guerrier celte

La couche où a été retrouvé le crâne est datée par le mobilier céramique (céramique peinte cantabre, amphores italiques de type Dressel 1) et par deux fibules en bronze de type La Tène tardif, entre 30 et 15 av. J.-C. C’est exactement la période de la phase finale des guerres cantabres, lorsque Auguste en personne vint diriger les opérations depuis Segisama (près de l’actuelle Burgos) et ordonna la destruction méthodique des oppida du nord.La Loma semble avoir été prise d’assaut puis démantelée partiellement : de nombreuses structures montrent des traces d’incendie et les remparts ont été abattus à plusieurs endroits. Le crâne découvert correspond parfaitement à cette phase de violence extrême.

Une découverte rarissime

Si des têtes coupées celtiques ou celtibères ont déjà été retrouvées (notamment à Puig Castellar en Catalogne ou à Ullastret), c’est la première fois qu’un tel trophée est mis au jour dans un contexte aussi clairement lié à la conquête augustéenne en zone cantabre méridionale.« Nous avons la preuve matérielle directe de ce que les textes nous disaient depuis deux millénaires », résume Fernando Quesada Sanz, spécialiste de l’armement celtibérique à l’Université autonome de Madrid, qui a pu examiner les restes. « C’est un témoignage poignant de la brutalité de la romanisation du nord et de l’est de la péninsule. »Les fragments de crâne seront désormais analysés en laboratoire (ADN, isotopes, datation carbone plus précise) afin, si possible, de déterminer l’âge, le sexe et l’origine géographique du défunt. Mais déjà, le message est clair : à La Loma, il y a deux mille ans, Rome a voulu marquer les esprits en gravant sa victoire dans la pierre… et dans la chair.

Olier Kerdrel

Sources :

  • Heroica Archaeology (communiqué officiel, 24 novembre 2025)
  • Domínguez-Solera, S. et al., « La Loma 2025 : nouvelles données sur la fin de l’oppidum cantabre », rapport préliminaire.
  • Quesada Sanz, F., interview pour National Geographic España, 28 novembre 2025.

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By La rédaction

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