La mort d’Yves Fréville réveille les fantômes de la spoliation résistantialiste à l’origine d’Ouest-France

Yves Fréville, fils d’Henri Fréville, vient de disparaître à l’âge de 91 ans, héritier d’un legs sombre et polémique. Comme l’évoque le résistant Émile Kerambrun dans son ouvrage « Les profiteurs de la Libération », Henri Fréville et Pierre-Henri Teitgen ont mené une opération de spoliation pure et simple lors de la Libération en 1944, en s’appropriant l’empire médiatique de L’Ouest-Éclair pour le transformer en Ouest-France, au profit exclusif de leurs réseaux politiques (gaullistes et démocrates-chrétiens du MRP). Cette manœuvre, déguisée en épuration nécessaire, constitue un vol administratif massif, où des biens privés florissants ont été confisqués sans compensation adéquate et redistribués à une nouvelle élite « résistante » officielle.

Un journal breton prospère mis sous séquestre

L’Ouest-Éclair, fondé en 1899 à Rennes par des familles catholiques bretonnes, était un quotidien puissant, avec plus de 200 000 abonnés, des imprimeries modernes à Roazhon (Rennes) et Naoned (Nantes), un réseau de distribution étendu couvrant la Bretagne, et une influence considérable sur l’Ouest français. Il avait continué à paraître sous l’Occupation, mais sans coopération particulière avec les autorités allemandes pour la plupart de ses dirigeants. À la Libération, en août 1944, l’ordonnance gaulliste du 22 juin 1944 sur l’épuration de la presse place ses biens sous séquestre du nouvel État. Les anciens propriétaires se voient expropriés brutalement, ruinés sans recours réel.

Le rôle central d’Henri Fréville

Henri Fréville

Henri Fréville, historien nommé délégué régional à l’Information pour la Bretagne par le gouvernement gaullo-communiste d’Alger, prend le contrôle du processus. Le 6 août 1944, il préside le comité régional de presse à Rennes et décide la suppression définitive de L’Ouest-Éclair. Peu avant, il avait participé à la création d’Ouest-France auquel il transfert les mêmes infrastructures : presses saisies, abonnés captifs, bâtiments et réseau logistique séquestrés. Paul Hutin-Desgrées en devient le directeur. Fréville agit comme un exécutant zélé, favorisant les réseaux MRP et gaullistes. Il recycle les actifs sans indemnisation des anciens actionnaires placés entretemps en détention par le nouveau régime, transformant le journal breton en outil au service du pouvoir en place. Cette décision rapide, sans enquête approfondie sur les degrés éventuels de compromission, consolide la prise du pouvoir par les « résistants » officiels.

L’implication décisive de Pierre-Henri Teitgen

Pierre-Henri Teitgen

Pierre-Henri Teitgen, ministre de l’Information de septembre 1944 à 1945, et figure emblématique du MRP, orchestre l’opération au niveau national. Auteur du « Cahier bleu » qui cadre l’épuration de la presse, il co-fonde Ouest-France avant même la saisie de L’Ouest-Éclair, en devient actionnaire et premier président de l’association. Teitgen valide les transferts de biens séquestrés, appliquant les ordonnances pour redistribuer les moyens de production des journaux arbitrairement désignés comme « collaborateurs » vers des titres nouveaux alignés sur les réseaux gaullistes. Comme pour Le Monde (remplaçant Le Temps), il assure que Ouest-France serve d’instrument de propagande, anti-indépendantiste breton et pro-régime. Devenu ministre de la justice, Teitgen se vante le 8 août 1946 des excès de violence qu’il a supervisé à travers la France : « Vous pensez sans doute que, par rapport à Robespierre, Danton et d’autres, le garde des Sceaux qui est devant vous est un enfant. Eh bien, détrompez-vous !« 

Un Hold-Up Légalisé

Pierre-Henri Teitgen, à gauche

Cette opération repose sur plusieurs rouages perfides. D’abord, le séquestre étatique confisque tout sans distinction nuancée : même les employés modérés ou les actionnaires non impliqués perdent tout. Ensuite, le transfert immédiat vers Ouest-France permet un démarrage fulgurant : le nouveau journal paraît le 7 août 1944 avec un tirage massif, grâce aux abonnés forcés et aux subventions d’État. Les anciens propriétaires intentent des procès (dissolution confirmée en 1946 par la Cour de justice de Rennes), mais sans restitution significative. Fréville et Teitgen profitent personnellement et politiquement : Fréville devient maire de Rennes (1953-1977), soutenu par Ouest-France ; Teitgen gravit les échelons ministériels. Le MRP gagne un vecteur de propagande rentable, éliminant les voix bretonnes jugées « gênantes ». Depuis lors, Ouest-France sera la voix de l’opposition à la question nationale bretonne après l’avènement du pouvoir néo-jacobin.

Yves Fréville : la carrière d’un apparatchik

Yves Fréville

Cette escroquerie fondatrice a indirectement pavé la voie à la carrière politique d’Yves Fréville, le fils d’Henri. Grâce au monopole médiatique d’Ouest-France, acquis par le hold-up de 1944, la famille Fréville a bénéficié d’un soutien médiatique constant en Bretagne. Ouest-France, devenu le premier quotidien régional français, a agi comme un bouclier et un tremplin pour les héritiers du nouveau système gaulliste-MRP. Yves Fréville, sans expérience politique majeure avant les années 1980, entre en politique sous cette protection : député UDF d’Ille-et-Vilaine de 1986 à 1997, puis sénateur centriste de 1998 à 2008. À Roazhon (Rennes), ville dirigée par son père pendant 24 ans et basculée à gauche en 1977, Yves Fréville mène l’opposition avec une couverture médiatique complaisante d’Ouest-France, qui minimise ses échecs et amplifie ses critiques contre la municipalité de gauche. Protégé par le système étatique français – subventions massives à la presse, réseaux MRP/centristes recyclés dans l’UDF puis l’UMP – et par ce journal bâti sur la spoliation, il jouit d’une impunité relative, même lors de controverses locales sur les finances publiques ou l’urbanisme. Sans cet empire médiatique construit sur une spoliation à grande échelle en 1944, la dynastie Fréville n’aurait jamais eu cette longévité politique, tandis que toute voix bretonne dissidente était étouffée par le même Ouest-France et le régime en place.

Budig Gourmaelon

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By La rédaction

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