EMSAV – Jakez Riou, né le 1er mai 1899 à Kerhoas, dans la commune de Lothey (Finistère), et mort prématurément en 1937 à Châteaubriant, incarne l’âme d’une Bretagne littéraire et culturelle en quête de renouveau. Écrivain, poète, dramaturge et journaliste, il fut l’un des piliers du mouvement littéraire breton, œuvrant pour redonner à la langue bretonne ses lettres de noblesse et affirmer l’identité nationale bretonne face à l’assimilation française.
Un éveil à la langue bretonne
Fils d’une Bretagne rurale, Jakez Riou grandit dans un Finistère profondément marqué par la langue et la culture bretonnes. C’est au séminaire des Missionnaires de Picpus, à Fontarrabie (Pays basque espagnol), qu’il forge son destin littéraire. Là, aux côtés de Youenn Drezen et Jakez Kerrien, il redécouvre la « magie » du breton, une langue qu’il entreprend d’épurer pour en faire un outil littéraire moderne, inspiré par des prédécesseurs comme Yann-Ber Kalloc’h et Tanguy Malmanche. Cette prise de conscience, dans un contexte d’études théologiques, littéraires et scientifiques, marque le début de son engagement pour la cause bretonne.
Une plume au service de l’identité bretonne
Jakez Riou s’impose rapidement comme une figure centrale du mouvement Gwalarn, revue littéraire bretonne fondée en 1925 par Roparz Hemon et soutenue par Breiz Atao. Dès ses débuts, il contribue à cette entreprise ambitieuse visant à créer une littérature bretonne moderne, débarrassée des stéréotypes folkloriques. Ses œuvres, écrites exclusivement en breton, explorent la vie paysanne, les drames humains et l’humour, avec une maîtrise stylée de la langue qui rivalise avec les grandes littératures européennes.
Parmi ses créations marquantes :
- Lizer an hini maro (1925), un roman poignant sur le fatalisme et l’hérédité, abordant des thèmes comme l’alcoolisme dans la société bretonne.
- Geotenn ar Werc’hez (1928, traduit en français par Youenn Drezen en 1947), un recueil de nouvelles considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature bretonne, où il dépeint avec mélancolie et finesse la vie rurale.
- Gorsedd Digor (1928), une pièce satirique illustrée par Michel Mohrt, où il se moque avec ironie des congrès celtiques et des bardes, critiquant les dérives folkloriques tout en célébrant l’esprit celtique.
- Nomenoe-oe ! (1941), une œuvre posthume exaltant la figure de Nominoé, héros de l’indépendance bretonne, symbole de résistance face à la domination franque.
- Sa pièce An ti satanazet (1947) et ses poèmes, bien que moins nombreux, témoignent d’un style incisif et d’une sensibilité celtique, mêlant pudeur et profondeur.
Un engagement culturel et national
Journaliste au Courrier du Finistère et instituteur à partir de 1923 après une brève carrière dans le commerce, Jakez Riou s’engage pleinement dans la renaissance culturelle bretonne. Membre actif du mouvement Seiz Breur aux côtés d’artistes comme René-Yves Creston et Pierre Péron, il participe à la modernisation de l’art breton, mêlant tradition celtique et audaces contemporaine. Son ironie envers les « gloires établies » et les institutions folkloriques, comme les fêtes bardiques, reflète son désir d’une Bretagne authentique et souveraine.
Photo de groupe à Douarnenez en 1935. À droite, René-Yves (debout) et Suzanne Creston (assise) ; assis à gauche de Suzanne : Youenn Drezen ; debout au milieu (chemisette et cravate) : Pierre Péron ; à gauche, Jakez Riou et son épouse. Crédit : Collection particulière DR
Bien que son œuvre ne soit pas explicitement politique, son attachement à la langue bretonne et son implication dans Gwalarn s’inscrivent dans le sillage du second Emsav, période de renouveau nationaliste breton entre les deux guerres mondiales. Jakez Riou représente un combattant de la plume, dont chaque mot était un acte de résistance contre l’acculturation imposée par l’État français, ce « monstre froid » dénoncé par Nietzsche.
Une fin tragique, un legs éternel
Tuberculeux, Jakez Riou s’éteint à 37 ans en 1937 à Châteaubriant, dans la pleine maturité de son talent. Il est enterré au cimetière de Ploaré, laissant derrière lui une œuvre interrompue mais puissante. Son ami Youenn Olier écrit dans Skol Walarn : « Jakez Riou ne dépeint pas la vie pour elle-même ; il en fait un drame, une œuvre magistrale ». Un fonds d’archives, comprenant 79 pièces inédites (manuscrits, correspondances, articles), est conservé à la Bibliothèque Yves-Le Gallo du CRBC à Brest, témoignant de son héritage (Univ-Brest).
Olier Kerdrel
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