Edward Woodville, né vers 1454-1458 à Grafton Regis dans le Northamptonshire, Angleterre, émerge comme une figure emblématique du crépuscule de l’ère chevaleresque médiévale. Fils cadet de Richard Woodville, premier comte Rivers, et de Jacquetta de Luxembourg, il grandit dans une famille qui incarna l’ascension sociale fulgurante sous les Yorkistes. Sa sœur aînée, Elizabeth, épousa en secret le roi Édouard IV en 1464, propulsant les Woodville au cœur du pouvoir royal. Cette union, controversée, transforma les Woodville d’une noblesse mineure en piliers de la cour, mais aussi en cibles des intrigues des Guerres des Roses, ce conflit dynastique qui opposa les maisons de York et de Lancastre de 1455 à 1487.
Dès son enfance, Edward fut immergé dans un monde de politique et de guerre. Les Woodville, originellement alliés aux Lancastriens, pivotèrent vers les Yorkistes après le mariage d’Elizabeth. Edward, dixième enfant d’une fratrie nombreuse, bénéficia d’une éducation aristocratique : apprentissage des armes, de l’équitation, et des codes de la chevalerie, inspirés des romans arthuriens et des croisades. Bien que les détails de sa jeunesse restent flous – les chroniques de l’époque se concentrent sur ses aînés –, il est probable qu’il assista aux événements tumultueux de 1471, comme les batailles de Barnet et de Tewkesbury, où son frère Anthony fut capturé puis libéré. Ces affrontements, qui scellèrent la restauration d’Édouard IV, forgèrent en Edward un sens aigu de la loyauté dynastique et une aversion pour les trahisons internes.
C’est en 1472 que le destin d’Edward bascula vers la Bretagne, marquant le début de son engagement patriotique pour cette terre celtique. À l’âge d’environ 18 ans, il accompagna Anthony en Bretagne, répondant à l’appel du duc François II menacé par une invasion française sous Louis XI. Édouard IV, soucieux de contrer l’expansionnisme français et de sécuriser un allié continental, envoya 1 000 archers anglais sous leur commandement. Cette expédition, bien que modeste, fut une victoire : les forces anglo-bretonnes repoussèrent les avancées françaises, forçant une trêve. Pour Edward, cette première campagne fut transformative. Il découvrit la Bretagne comme une nation fière, indépendante, défendant son indépendance contre un voisin vorace.
Partie 2 : Les Accords de Châteaugiron

Edouard IV
Louis XI et le rêve d’une France sans grands fiefs
Louis XI n’a jamais caché son objectif : transformer la France féodale en un royaume centralisé où plus aucun prince, duc ou comte ne pourrait défier la couronne. Il a déjà réussi : Normandie reprise en 1465-1468, Guyenne récupérée à la mort de son frère Charles en 1472, Bourgogne menacée par la guerre contre Charles le Téméraire. Reste le plus gros morceau : la Bretagne, une flotte, une armée propre, une langue et des lois distinctes, un duc qui se considère l’égal des rois.
Pourquoi 1471-1472 fut l’année choisie pour frapper
Plusieurs éléments se combinent pour convaincre Louis XI que le duché est mûr : François II est au plus bas : santé ruinée, crises de goutte, dépression, aucun fils légitime. Ses deux filles, Anne (née en 1477) et Isabeau (1478), ne sont même pas encore nées en 1472 : la succession est ouverte à toutes les interprétations.
- Divisions internes : la moitié des grands seigneurs (Rieux, Rohan, Laval, Coëtivy) haïssent les favoris du duc et ont déjà appelé les Français à l’aide en 1470.
- Garnisons déjà en place : depuis 1471, des compagnies françaises occupent Pouancé, La Guerche, Ancenis, Marcillé-Robert. Louis XI n’a plus qu’à faire avancer ces avant-postes pour étrangler le duché.
- Charles le Téméraire est occupé en Alsace et en Lorraine ; Édouard IV est encore en train de consolider son pouvoir après 1471. Pour Louis XI, c’est le moment parfait : aucun allié extérieur ne peut intervenir à temps.
Le plan est prêt : occupation progressive, traité léonin, tutelle sur les héritières, puis annexion pure et simple.
Les accords de Châteaugiron : le traité qui fit reculer le roi-araignée (11 septembre 1472)
Le 11 septembre 1472, dans la grande salle du château de Châteaugiron, une des résidences favorites de François II, se joue le tournant décisif. François II, duc de Bretagne, Anthony Woodville, comte Rivers, plénipotentiaire d’Édouard IV, signent un traité d’alliance défensive :
- Engagement de porter secours mutuel si l’un des deux est attaqué par la France.
- Coordination militaire : si l’un déclare la guerre à Louis XI, les deux autres doivent l’aider activement.
- Clause secrète : Édouard IV promet de débarquer en France avec une grande armée dans les deux ans ; en échange, la Bretagne ouvre ses ports et fournit troupes et ravitaillement.
- Durée : deux ans, renouvelable.
L’effet est immédiat : Louis XI comprend qu’il risque une guerre sur trois fronts, Bretagne, Angleterre et Bourgogne. Il ordonne la suspension de toutes les opérations offensives et le retrait progressif des garnisons royales des places bretonnes.
Conséquences et fin de l’alliance (1473-1475)
Les 1 000 archers anglais restent encore quelques mois comme force de garantie, puis rentrent au début de 1473. Louis XI accepte une trêve de fait et se concentre sur la Bourgogne. L’alliance tient jusqu’en 1475 : Édouard IV débarque effectivement avec 15 000 hommes en juillet 1475, mais Louis XI achète la paix anglaise par le traité de Picquigny (29 août 1475) et l’alliance de Châteaugiron prend fin. La Bretagne gagne seize ans de répit : jusqu’à la mort de François II en 1488 et la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier.
Partie 3 : Le Conflit Anglo-Breton de 1472

François II de Bretagne
Une intervention décisive qui sauva la Bretagne
À l’automne 1471, Louis XI est convaincu que le duché de Bretagne est à sa portée. François II, duc depuis 1458, est physiquement et moralement épuisé : crises de goutte, dépression chronique, aucun fils légitime, seulement deux petites filles (Anne et Isabeau). La noblesse bretonne est profondément divisée : plusieurs grands seigneurs (maréchal de Rieux, prince d’Orange, Gilles de Bretagne) ont déjà appelé les Français à l’aide lors des révoltes de 1468-1470. Louis XI a profité de ces troubles pour installer des garnisons royales dans des places stratégiques à la frontière orientale : Pouancé, La Guerche-de-Bretagne, Marcillé-Robert, et surtout Ancenis sur la Loire. En occupant ces châteaux, il contrôle les principaux axes d’invasion et peut couper le duché en deux parties. Son plan est limpide : avancer lentement, isoler Nantes et Rennes, forcer François II à accepter un traité de protectorat ou à abdiquer. L’annexion, qu’il prépare depuis des années, semble imminente.
L’expédition des frères Woodville : 1 000 archers pour sauver un duché (printemps-été 1472)
François II n’a plus d’autre recours que l’alliance traditionnelle avec l’Angleterre. Il envoie des ambassadeurs à Londres demander 6 000 archers immédiatement. Édouard IV, restauré sur son trône depuis à peine un an et qui rêve déjà de reconquérir les possessions continentales perdues, saisit l’occasion. Aider la Bretagne, c’est ouvrir un second front contre Louis XI et s’assurer des bases navales pour sa propre invasion prévue en 1475. Il choisit comme commandant Anthony Woodville, comte Rivers, son beau-frère, homme cultivé, poète et soldat expérimenté. Avec lui part le plus jeune de la fratrie, Edward, âgé de 17 ou 18 ans : c’est sa première véritable campagne militaire.
Anthony débarque en avril ou mai 1472 avec une escorte symbolique d’une trentaine d’archers et quelques gentilshommes. Il est reçu fastueusement à Nantes, puis à Rennes. Les négociations sont rapides : François II promet ports, ravitaillement et troupes auxiliaires ; Anthony obtient de Londres l’envoi du corps expéditionnaire. Au cours de l’été, environ 1 000 archers professionnels, équipés de l’arc long gallois et vêtus de la livrée blanche et murrey des York, traversent la Manche. Edward Woodville participe activement à leur débarquement, à leur cantonnement et à leur répartition dans les garnisons bretonnes. Ces hommes ne sont pas de simples mercenaires : ils sont payés directement par la Couronne anglaise et représentent la fine fleur des compagnies d’ordonnance d’Édouard IV.
Une guerre sans bataille, mais gagnée d’avance
Il n’y aura ni siège spectaculaire ni affrontement décisif en 1472. L’intervention est purement dissuasive. Les colonnes anglo-bretonnes, mêlant archers anglais et chevaliers bretons, patrouillent la frontière orientale, occupent les routes, montrent les bannières à croix rouge et les étendards yorkistes. Les capitaines français, isolés dans leurs châteaux et peu nombreux, comprennent immédiatement la situation : une attaque ouverte déclencherait une guerre qu’ils ne peuvent pas gagner à ce moment-là. Louis XI, qui doit déjà surveiller Charles le Téméraire en Picardie et en Lorraine, n’a pas les moyens d’ouvrir un troisième front. Dès l’été, il ordonne la suspension des opérations offensives.
4. L’héritage d’Edward Woodville (septembre 1472 – 1488)
Armoiries d’Edward Woodville
Pour le jeune Edward Woodville, ces mois passés en Bretagne sont une révélation profonde. Il noue des amitiés durables avec des chevaliers bretons, participe aux fêtes ducales, reçoit l’accolade de François II.
De retour en Angleterre, Edward s’illustra dans les tournois et les cérémonies royales. Anobli chevalier du Bain en 1475 lors du couronnement du prince Édouard, il participa en 1478 à un somptueux tournoi pour le mariage du jeune Richard, duc d’York, avec Anne Mowbray. Ses chevaux caparaçonnés d’or et de velours témoignaient de la faveur royale. En 1480, il reçut des terres lucratives, incluant le port de Portsmouth et le château de Porchester, renforçant son statut de seigneur influent. En 1482, il rejoignit l’expédition écossaise menée par Richard, duc de Gloucester (futur Richard III), participant au siège de Berwick et gagnant le titre de chevalier banneret pour sa bravoure. Mais 1483 apporta le chaos. À la mort d’Édouard IV, Richard orchestra un coup d’État, arrêtant Anthony et exécutant d’autres Woodville. Edward, nommé amiral d’une flotte contre les corsaires français, s’enfuit vers la Bretagne avec deux vaisseaux et un trésor royal, rejoignant l’exil aux côtés d’Henry Tudor. François II l’accueillit, lui octroyant une pension, et Edward résista aux demandes d’extradition de Richard III. Cette période d’exil consolida son attachement à la Bretagne, vue comme un bastion de liberté face à la tyrannie.
En 1485, Edward suivit Henry Tudor en Angleterre. À Bosworth, il commanda l’avant-garde tudorienne, composée de mercenaires bretons et autres, contribuant à la victoire qui fonda la dynastie Tudor. Récompensé par Henry VII, il devint capitaine de l’île de Wight, gouverneur de Portsmouth, et chevalier de la Jarretière. Pourtant, l’aventure l’appelait ailleurs. En 1486, il partit pour l’Espagne, rejoignant les Rois Catholiques dans leur Reconquista contre les Maures. Au siège de Loja, il mena un assaut héroïque, perdant ses dents de devant, mais gagnant l’admiration des souverains. De retour en 1487, il écrasa les rebelles à Stoke. Mais en 1488, ignorant les ordres d’Henry VII, il leva une force pour défendre la Bretagne contre Charles VIII. À Saint-Aubin-du-Cormier, il mourut en héros, refusant la reddition. Edward Woodville, sans descendance, incarna le chevalier errant : loyal, audacieux, et dévoué à une patrie adoptive.
Olier Kerdrel
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