Les droits bafoués des minorités nationales en Roumanie

En Roumanie, derrière la façade d’un État membre de l’Union européenne, les minorités ethniques – Hongrois, Allemands, Ukrainiens et autres – continuent de subir des violations de leurs droits fondamentaux. Si les Hongrois de Transylvanie, forts de leur nombre (environ 1,2 million selon les derniers recensements) et de leur histoire, sont les plus visibles dans cette lutte, ils ne sont pas les seuls à pâtir d’une politique centralisatrice et assimilationniste qui rappelle, par bien des aspects, le jacobinisme français et sa politique d’éradication culturelle et linguistique contre les peuples que l’État français subordonne. À travers des lois discriminatoires, des pratiques administratives oppressives et une rhétorique étatiste, l’État roumain perpétue une logique d’uniformisation qui nie les identités des peuples qu’il continue d’écraser.

Les Hongrois de Transylvanie : une minorité sous pression

Les Hongrois, concentrés principalement en Transylvanie, région rattachée à la Roumanie après le traité de Trianon en 1920, incarnent un cas emblématique. Historiquement majoritaires dans certaines zones comme le Pays sicule (județe de Harghita et Covasna), ils revendiquent depuis un siècle le droit à préserver leur langue, leur culture et leur autonomie. Pourtant, malgré des garanties constitutionnelles (article 6 de la Constitution roumaine promettant la protection des identités minoritaires), les atteintes à leurs droits sont légion.

Un exemple criant est la Loi sur l’éducation de 2011, amendée en 2018, qui limite l’enseignement en langue hongroise. Dans les zones où les Hongrois sont minoritaires, les autorités imposent souvent des enseignants roumanophones pour des matières clés, même dans les écoles censées être bilingues. À Satu Mare, des parents hongrois ont dénoncé en vain le remplacement d’enseignants magyars par des Roumains, rendant l’accès à l’éducation dans leur langue maternelle quasi impossible. De plus, la Loi sur l’administration publique (215/2001) exige un seuil de 20 % de population minoritaire pour que l’usage d’une langue autre que le roumain soit autorisé dans les services publics, une règle arbitraire qui exclut de nombreuses communautés hongroises de leurs droits linguistiques.

Les autres minorités : Allemands et Ukrainiens dans l’ombre

Si les Hongrois bénéficient d’une certaine visibilité grâce à leur parti politique (UDMR) et leur poids démographique, d’autres groupes ethniques souffrent en silence. Les Allemands de Transylvanie (Saxons et Souabes), jadis prospères, ne sont plus qu’une poignée (36 000 en 2002) après des décennies d’émigration forcée sous Ceaușescu et de négligence post-communiste.

Hongrois de Roumanie

Quant aux Ukrainiens du nord-est, leurs droits linguistiques sont souvent ignorés, les écoles en langue ukrainienne étant sous-financées et rares. Ces cas illustrent une stratégie plus large : réduire les minorités à des vestiges folkloriques, sans réelle autonomie ni pouvoir.

Une généalogie de l’oppression : du communisme au nationalisme moderne

Cette politique oppressive trouve ses racines dans l’histoire récente de la Roumanie. Après 1918, l’annexion de la Transylvanie et du Banat, territoires multiethniques, a confronté l’État roumain à un défi : intégrer des populations hongroises, allemandes et autres dans un projet national unitaire et artificiel. Sous le régime communiste de Ceaușescu (1965-1989), cette volonté s’est radicalisée avec une assimilation forcée : fusion des écoles hongroises avec les roumaines, colonisation de la Transylvanie par des populations roumainophones et interdiction de toute autonomie régionale, comme la défunte Province autonome magyare (1952-1968).

Cartes des populations hongroises

Depuis la chute du communisme, malgré des avancées (représentation parlementaire des minorités, ratification de la Charte européenne des langues minoritaires en 2007), le nationalisme roumain reste vivace. Des lois comme celle sur l’élection des autorités locales (115/2015) maintiennent des barrières électorales qui désavantagent les petites minorités, tandis que les discours de haine anti-Hongrois, souvent tolérés par les élites politiques, exacerbent les tensions.

Une filiation avec le jacobinisme français

Cette obsession d’une unité nationale fictive à tout prix évoque irrésistiblement le jacobinisme français, né sous la Révolution de 1789. Comme les Jacobins qui ont cherché à écraser les identités bretonne, basque ou occitane au nom de « l’indivisibilité de la République », l’État roumain impose une vision monolithique où la langue et la culture roumaines doivent primer, sans légitimité historique. Le parallèle est frappant : dans les deux cas, l’État centralisé voit dans la diversité ethnique une menace à son autorité, préférant l’assimilation à la coexistence.

Le jacobinisme roumain s’est nourri de son propre contexte : la peur de l’irrédentisme hongrois, exacerbée par le soutien de Viktor Orbán aux Hongrois de Transylvanie, et une histoire de domination étrangère qui a forgé un nationalisme défensif. Là où la France imposait le français par une bureaucratie implacable, la Roumanie use de lois restrictives et d’une administration hostile pour marginaliser les minorités nationales.

Au début du XIXe siècle, les élites des Principautés roumaines (Moldavie et Valachie), alors sous influence ottomane, se tournent vers l’Europe occidentale pour moderniser leurs institutions. La France, avec son prestige post-révolutionnaire et napoléonien, devient une référence majeure. Cette admiration s’intensifie après la Révolution de 1848 lors de laquelle les révolutionnaires roumains, influencés par les idées libérales françaises, cherchent à imiter les institutions républicaines et nationales de la France. L’union des Principautés (1859) renforce le processus sous Alexandre Ioan Cuza : la Roumanie naissante adopte des réformes inspirées de la France pour unifier ses structures.

Alexandre Ioan Cuza

Le droit roumain s’est directement modelé sur le système juridique français, en particulier le Code civil napoléonien (1804). En 1864, sous Cuza, la Roumanie adopte son propre Code civil, rédigé par une commission dirigée par des juristes formés en France (notamment à Paris). Ce code reprend les principes de la propriété privée, du contrat et de la famille tels que définis par le Code Napoléon. Il établit un système juridique centralisé et uniforme, rejetant les coutumes locales au profit d’une loi nationale unique. Le Code pénal de 1865 et le Code de procédure civile suivent également des modèles français.

Le système administratif roumain est calqué sur le modèle français de l’État centralisé, avec la division en départements (județe). Inspirée des départements français créés sous la Révolution, cette organisation remplace les anciennes structures féodales et vise à uniformiser l’administration. Chaque județ est dirigé par un préfet, équivalent roumain du préfet français, nommé par le pouvoir central. Comme en France, l’administration roumaine repose sur une hiérarchie stricte, où le pouvoir émane de Bucarest, s’opposant à l’autonomie locale. Le Conseil d’État, inspiré du Conseil d’État français, un organe similaire est créé pour superviser la légalité administrative.

L’État roumain, sous-produit de la révolution française

La construction de l’État roumain après 1859, puis son expansion avec la Grande Roumanie en 1918 (incluant la Transylvanie, le Banat, etc.), s’inspire du modèle français d’unité nationale. Comme le jacobinisme français, qui cherchait à uniformiser les langues et cultures sous une identité nationale unique, la Roumanie adopte une politique d’assimilation. À l’image du français promu contre les « patois » en France, le roumain devient la seule langue officielle, marginalisant les minorités (Hongrois, Allemands, etc.).

La Constitution de 1866, inspirée de celle de la Belgique (elle-même influencée par la France), consacre un État unitaire, rejetant toute forme de fédéralisme malgré la diversité ethnique du pays. Après 1945, le régime communiste superpose une idéologie marxiste-léniniste au modèle français, mais conserve la centralisation et l’uniformisation, renforçant encore l’héritage jacobin.

Corriger une erreur historique 

Pour nous, Bretons, qui luttons contre l’uniformisation française, le sort des minorités de Roumanie résonne familièrement. Les Hongrois et autres peuples de Roumanie méritent mieux qu’une fiction d’état national qui les réduit au silence. Tant que des États artificiels persisteront dans cette logique d’occupation, de répression, d’assimilation coercitive, la liberté des peuples restera une chimère. Face à cette injustice, l’implication des états européens conséquents est nécessaire afin de l’État roumain soit fédéralisé et ses minorités nationales traitées à égalité, avec un droit à rejoindre leur patrie d’origine, à l’instar des Hongrois.

Ewen Broc’han

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By La rédaction

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