Morvan Marchal, Tad an Emsav par Goulven Pennaod

« Souvent je songe à vous dieux oubliés des hommes… », écrivait voici vingt ans Morvan MARCHAL dans un de ses meilleurs poèmes. Ce soir aussi je pense à toi, Morvan Gozh, et deux ou trois camarades aux quatre coins de cette damnée boule se souviennent peut-être de ton visage que nous ne connaîtrons plus. Voici trois mois, je t’avais trouvé très affaibli sur ton lit d’hôpital et il me vint à l’idée de suggérer à un ami du Mouvement de faire quelque chose pour rompre ta solitude. « Envoie donc, lui dis-je, un des jeunes de ton groupe voir le père Marchal à l’hôpital Lariboisière. » « Le Père Marchal ? C’est un Dominicain ? » me répondit-il. Sic transit…

Eh non, le « père Marchal » était rien moins que Dominicain. C’était seulement celui qui, après la première guerre mondiale, fonda Breiz Atao.

Au début de juin dernier, c’était le départ d’Abeozen. Ecrivant son nécrologe pour « Ar Vro », je ne pensais pas que trois mois plus tard il me faudrait faire de même pour Marchal. Depuis de longues années il vivait extrêmement retiré, cloué sur son lit par une maladie impitoyable. De temps à autre, quelques-uns de ses anciens compagnons l’allaient voir. Trop peu nombreux et trop peu souvent : il y avait Paul Gaignet, R. Glémarec, Jon Mirande, Gérard Toublanc et puis moi lorsque je n’étais pas à l’autre bout du monde ; Mordrel, R. Tullou et Théo Jeusset s’inquiétaient de lui. Quelques autres aussi sans doute, comme Eostig Sarzhaw et Kalondan : j’ai cité des noms, ce n’est pas pour établir un palmarès assez vain, mais parce qu’il faut bien dire que la plupart des « grandes voix » de « l’Emsav » ne se sont jamais souciées de savoir ce que pouvait bien devenir celui qui les avait politiquement engendrés.

« A Châteaugiron, me disait un prêtre que j’aimais bien, nous avons l’abattoir des vieux curés; où comptez-vous établir l’abattoir des vieux druides, et quand ?» Maintenant nous le savons : c’est dans cet infect hôpital Lariboisière, dans une salle commune sordide et surpeuplée, que l’Emsav a laissé mourir ses créateurs. C’est là que Morvan Marchal est mort le 16 août, seul. C’est de là qu’il est parti, le 19, vers le cimetière de Pantin, accompagné de ses proches et du seul Glémarec. Pas de biniou ni de flon-flon folklorique. Pas de discours sur sa tombe. Qu’aurait-on dit d’ailleurs ?

Il aurait fallu publiquement dire des choses bien compromettantes pour des gens en place! Que par exemple, à peine sorti du lycée, Morvan Marchal, fauchant une dizaine de francs dans le bureau de son père fit imprimer quelques centaines de tracts à propos de je ne sais trop quelle célébration officielle de du Guesclin; que sur ces tracts collés aux murs des maisons des bourgeois bien-pensants de Rennes, on pouvait lire : « Du Guesclin est un traître ! Lisez Breiz Atao ! ». Il n’est que juste d’ajouter que ce nom maudit ne fit pas frémir le moindre de nos compatriotes. Qui pouvait bien connaître Breiz Atao, mis à part Job de Roincé, Prado, Bricler, Mordrel, Debauvais et deux ou trois autres « bugel fall » ? Il aurait fallu raconter comment le jeune francequillon monarchiste s’était découvert une vocation de chouan en lisant pêle-mêle Paul Féval, Théodore Botrel et un livre d’images sur les Amérindiens… De quoi faire frémir nos têtes pensantes aujourd’hui, n’est-ce pas ? Et cela marque le chemin que l’on oublie parcouru grâce à quelques hommes comme lui dans un hôpital ou le fond de la Sierra.

Certes, Marchal n’a pas inventé « l’Emsav ». Avant lui, et sans remonter au déluge, il y a eu L’Estourbeillon, Choleau, Taldir, Le Mercier d’Erm, et bien d’autres. Mais avec Marchal et Mordrel, c’est un nouveau style breton de vie qui a surgi; depuis eux, il y a un problème breton, tenace, irritant, menaçant parfois ; il y a des jeunes qui se soucient bien peu des bragoù bras et du vieux « brézounecq », ce dialecte rocailleux que parlent encore quelques mendiants arriérés et crasseux, des demi-sauvages, des barbares, à l’extrême ouest de la France « notre mère » ; des jeunes qui vous rient au nez lorsque d’aventure un quidam décoré et bedonnant leur vient parler de « petite patrie dans la grande patrie » : grâce à Marchal et à Mordrel, il y a des Bretons et plus nombreux chaque jour qui ne reconnaissent que la Bretagne pour patrie.

Le vrai combat a commencé le jour où fut créée l’Unvaniez Yaouankiz Vreiz à laquelle un nationaliste fanatique, déjà bien connu par une « Enquête sur le séparatisme », donna son premier insigne ; ce militant a nom Fañch Gourvil qui depuis… Mais malgré ce bien fâcheux patronage, l’U.Y.V. prospéra et les noms de ceux qui y firent leurs premières armes sont aujourd’hui bien connus : Hemon, Abeozen, Debauvais, Riou, Drezen, etc…

Parfois Marchal se retira sous sa tente; lorsqu’il était en désaccord avec la majorité, il préférait le silence à une polémique toujours nuisible. Ce chouan évoluait sensiblement vers la gauche et il n’est pas étonnant qu’on l’ait retrouvé à La Bretagne Fédérale puis lors du Manifeste des Bretons Fédéralistes. Grand admirateur de Proudhon, il se sentait mal à l’aise avec la doctrine SAGA et l’attitude politique de B. A. dans les années qui ont précédé la guerre.

Mais retiré de la vie politique active il ne délaissait pas la Bretagne. Poursuivant sa quête de la celticité, il devait bientôt se joindre à Rafig Tullou et, avec Bayer du Kern, donner vie à cet étonnant Kad et à la Fraternité des Hommes du Chêne qui, aussi éloignés du bardisme de dolmens en carton bouilli si bien magnifié par Jakez Riou, que d’un christianisme parfois abusif, allaient susciter en Bretagne le premier mouvement sérieux de recherche du celtisme authentique pré-chrétien. On peut passer rapidement sur les tentatives plus ou moins avortées de résurgence d’un néo-paganisme, encore qu’il serait sans doute prématuré d’enterrer le Kredenn Geltiek, mais sans ce magnifique essai que fut la revue Nemeton publiée entre 1942 et 1944 par Marchal et dans laquelle il faut lire son « Druidisme et les traditions initiatiques », la littérature bretonne n’aurait pas à s’enorgueillir des plus beaux poèmes de Gw. Berthou-Kerverziou, comme Epona, Nemeton, Manos ha Bena; le Gorsedd serait encore cet « emsav meurlarjez » de saltimbanques déguisés qu’il fut entre les deux guerres; et enfin, il n’y aurait jamais eu d’Ogam ni peut-être bien d’Hor Yezh, â Natrouissus !

Là encore Marchal a voulu être Maen Nevez, l’Artonouios, et s’il avait été reconnu «archidruide» par ses frères dans la clairière, c’est qu’il était véritablement le Maître qui enseigne. Sous un aspect volontiers rieur et débonnaire, ce joyeux compagnon était un homme d’une grande sensibilité et d’une très vaste culture. Très haut initié de la Maçonnerie spéculative, il était particulièrement versé dans le symbolisme, et les maçons les plus éminents reconnaissaient sa maîtrise. Une de ses dernières joies fut sans doute d’apprendre la naissance d’un atelier spécifiquement breton…

Est-il besoin de dire que Marchal fut emprisonné en 1944 et qu’il dut ensuite, comme tant d’autres, refaire sa vie à partir de zéro. Cela aussi, comme pour Abeozen, ne fut pas pour peu dans sa maladie.

«Tad an emsav» ai-je écrit en sous-titre : ce nom, « Danse- à-l’ombre, capitaine de paroisse » comme il se nomma lui- même, il le mérite bien puisqu’il fut véritablement le créateur de l’Emsav moderne. Sans bruit, sans vaine gloire, il a poursuivi sa tâche tant que la maladie lui a laissé quelque répit ; et aujourd’hui encore il est toujours parmi nous, dans ce drapeau « gwenn ha du » qu’il a dessiné et qui demeure celui de la Bretagne nouvelle qui marche vers son destin.

Goulven Pennaod, Ar Vro n°22 (1963)

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By La rédaction

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