EMSAV – Le 12 septembre 1905, l’abbé Yann-Vari Perrot fonde l’association Bleun Brug (Fleur de bruyère) pour défendre la langue, les traditions et la foi chrétienne des Bretons qu’il sait gravement menacées par l’influence française. Cette initiative est prise dans un climat d’extrême hostilité de l’État français vis-à-vis de la Bretagne, celle-ci étant considérée par les élites parisiennes comme un puissant bastion contre-révolutionnaire, hermétique au régime républicain et à son idéologie.

Pour l’abbé Perrot, la langue bretonne est le bouclier naturel de la foi chrétienne menacée par la propagation de l’athéisme d’état français et inversement. « Ar Brezhoneg hag ar Feiz a zo breur ha c’hoar e Breiz » est l’axe doctrinal de l’association. L’abbé, visionnaire, entrevoit la « mort » de la Bretagne. « De la façon dont elle est traitée, la Bretagne ne vivra pas cent ans » prophétise-t-il.
D’abord soutenu par l’Église catholique et le Saint-Siège, hostile au régime républicain en raison de son caractère virulemment anticlérical sous l’impulsion chef du gouvernement français Émile Combes, l’action de l’abbé Perrot est progressivement marginalisée par le clergé qui recherche un compromis avec les autorités. Ce compromis advient au lendemain de la première guerre mondiale, dans un climat où les démocraties acquises aux idées libérales de la maçonnerie triomphent sur les ruines des empires chrétiens d’Europe. Paris négocie le rétablissement des relations diplomatiques entre la république française et le Vatican, politique symbolisée par la canonisation en 1920 de Jeanne d’Arc au terme d’un bricolage politique.

Dès lors, l’action de l’abbé Yann-Vari Perrot est tolérée plus que soutenue par ses supérieurs hiérarchiques. Lorsque l’Alsace catholique nouvellement annexée par la France entre en confrontation avec le gouvernement français pour préserver son régime concordataire et, plus largement, sa personnalité germanique menacée, l’abbé Perrot prend fait et cause pour le mouvement alsacien auquel il s’identifie. Dans le contexte revanchard de l’époque, cette position tranche avec le chauvinisme français qui règne. C’est l’entrée implicite de la politique dans l’action du Bleun Brug. Le jeune autonomisme breton, inspiré lui aussi par la résistance des Alsaciens, ne tarde pas à nouer des liens étroits avec le mouvement de l’abbé Perrot, provoquant de fortes tensions avec la hiérarchie cléricale désormais alignée sur les positions du régime républicain. Fermement rappelé à l’ordre par Adolphe Duparc, évêque de Quimper rallié à la république française, l’abbé doit consentir à ne pas afficher de soutien à la cause politique bretonne.
L’abbé ne désarme pas et poursuit très activement son activité culturelle, cultuelle et linguistique, soutenu par l’Emsav et son parti, le Parti National Breton. En 1937, le Bleun Brug organise le millénaire de la résurrection nationale de la Bretagne. Occupée par les Vikings au 10ème siècle, la Bretagne est alors un désert dont les chefs politiques et religieux ont fui le pays. Sous la direction du roi Alan II dit « al Louarn », la Bretagne reconquiert contre toute attente sa liberté pour entamer une nouvelle marche en avant. Cet exemple glorieux galvanise l’abbé Perrot et ses compagnons du Bleun Brug qui y voit la trame de la renaissance future de la Bretagne occupée par la France révolutionnaire, foyer de pestilence.
Rétrospectivement, la formule sociale, culturelle et politique défendue par l’abbé Perrot en Bretagne à travers le Bleun Brug était la seule qui eut pu protéger, sinon préserver le catholicisme breton à l’ombre de ses traditions et de sa langue. En suivant aveuglément la politique de ralliement à l’État français dictée par les opportunistes de la hiérarchie catholique, le clergé breton a été rapidement balayé après-guerre en Bretagne au point de voir le catholicisme devenir marginal au 21ème siècle, tout comme la langue bretonne. L’illusion du loyalisme aura été fatale à l’Église catholique en Bretagne.
Pour découvrir l’histoire du Bleun Brug :
Ewen Broc’han
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