Les langues natives de l’Hexagone, « instruments de division » selon Macron : un discours à déconstruire

Emmanuel Macron, lors de son intervention à l’Académie française pour saluer la nouvelle édition du dictionnaire, a qualifié ce qu’il qualifie de « langues régionales » d’« instruments de division de la nation » (à partir de 29’00), tout en louant le courage des Canadiens parlant français comme une forme de « résistance » (37’00).

Ce double discours exige une analyse approfondie, tant il illustre une contradiction historique, politique et philosophique qui perpétue l’effacement des langues des peuples sous administration hexagonale.

Le français, langue de l’orthodoxie idéologique

L’idée que les langues natives diviseraient la « nation » s’inscrit dans une tradition étatiste et centralisatrice qui remonte à la Révolution française, laquelle assimile l’usage de la langue de Paris à l’orthodoxe idéologique requise par le nouveau régime. En 1794, l’abbé Grégoire publiait son célèbre rapport sur la « nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser la langue française », dans lequel il qualifiait les langues autochtones d’obstacles à la République. Ce discours, fondé sur une vision autoritaire d’un état central dépourvue d’unité ethno-culturelle, oublie que la diversité linguistique a toujours existé dans ce que l’on appelle la France et que les langues ne sont pas des menaces. Ce langage guerrier entre un « nous » central et un « eux » périphérique traduit bien la paranoïa sous-jacente qui traverse l’élite parisienne depuis 1789.

Le français, une langue régionale à prétention nationale

La langue française elle-même s’est constituée sur une base régionale : issue d’un dialecte d’Île-de-France, elle n’a été imposée qu’au prix d’une marginalisation violente des autres langues. Cette approche, loin de rassembler, a souvent généré du ressentiment dans les provinces soumises à la féroce répression linguistique du centre politique francilien.

La distinction purement artificielle qu’opère le régime de Paris entre la langue française et les langues « régionales », périphériques, prétend distinguer la langue de la nation, seule légitime, et celles des marges, désuètes, qui ne sauraient prétendre à cette qualité. Par cette hiérarchisation idéologique des langues débute dans les esprit le processus de légitimation de leur destruction telle qu’est poursuivie par l’État français depuis la Révolution.

Français, langue hypocrite de l’impérialisme

Parler de « résistance » pour les francophones canadiens tout en condamnant les locuteurs de breton, de basque ou d’occitan en France révèle une incohérence, du moins en apparence. Si la défense d’une langue minoritaire est une forme de résistance en Amérique du Nord, pourquoi ne serait-elle pas légitime en Bretagne ? Les Bretons qui s’expriment en breton aujourd’hui résistent eux aussi à un système oppressif qui, depuis des siècles, dénigre leur identité culturelle.

Le président de la République feint d’ignorer que les langues natives ne sont pas seulement des outils de communication, mais aussi des vecteurs de pensée et de créativité. En condamnant ces langues comme suspectes de sédition, il condamne des visions du monde différentes, des façons uniques de percevoir et de nommer la réalité.

Comme nous l’avons vu, en France, l’usage de la langue du gouvernement est un acte de conformité idéologique et de loyauté à l’égard de l’État révolutionnaire. Le français lui-même n’est donc qu’un moyen au service d’une fin : l’exportation de l’idéologie jacobine dont la prétention à conquérir le monde est explicite dès le début de la proclamation de la République en 1792. Les révolutionnaires français ne font pas mystère de leurs intentions à cet égard. Ce projet, foncièrement impérialiste, se matérialise rapidement avec l’invasion de l’Europe par les armées françaises, ce qui fait naître en retour un sentiment de résistance nationale dans tout le continent, en Espagne, en Allemagne, en Italie, en Russie, etc..

Lorsque le président français dénonce les langues natives de l’Hexagone comme des « instruments de division », mais qu’il vante parallèlement l’usage de la langue française au Canada en y voyant une « résistance » (à quoi ?), il exprime une conception purement politique et opportuniste de ce qu’est une langue. Pour lui, conformément à la conception jacobine, la langue est un outil de force dans un rapport d’affrontement entre états porteurs – ou non – d’idéologies contradictoires.

Les langues natives, langue du particulier

L’impérialisme français, comme tous les impérialismes, a un discours sur lui-même qui le présente comme une force bienveillante et civilisatrice dont la validité est garantie par la justesse idéologique, en l’occurrence celle des « droits de l’homme ». Cet impérialisme dit faire le bien des peuples, y compris malgré eux, selon une approche paternaliste caractéristique. Franciser les Bretons, les Vietnamiens, les Algériens ou les Congolais, est, selon cette conception, un « mal nécessaire » pour leur apporter une civilisation à la prétention universelle. En réalité, elle n’est que la domination linguistique d’un système et d’une caste particulière, et non pas l’expression d’un consensus mondial en faveur de la France ou de son idéologie révolutionnaire.

Par contrecoup, en Bretagne, le breton est bel et bien une langue de « résistance » et d’émancipation, porteuse d’une histoire et d’une culture millénaires. La qualifier d’instrument de « division », quand elle unit un peuple, c’est nier les luttes pour sa survie face à une répression institutionnalisée, notamment sous la IIIe République. La destruction des langues autochtones est un moyen de domination politique du centre sur les périphéries subordonnées par la force, non pas d’unité naturelle et consentie.

Emmanuel Macron, en qualifiant les langues régionales d’« instruments de division », réaffirme une vision de la France centralisée et homogène, en contradiction avec la réalité de son peuplement. Ce discours, s’il n’est pas déconstruit, continuera d’alimenter l’aliénation des peuples autochtones. À nous, Bretons, de montrer que la diversité est une force et que notre langue est un levier d’indépendance culturelle et politique.

Budig Gourmaelon

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By La rédaction

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