Histoire des monarques bretons (chapitre 2) : Riwal, roi de la Domnonée et fondateur de la Bretagne

Au début du Ve siècle, l’Armorique, la future Bretagne, est une terre de bouleversements, marquée par l’effondrement de l’Empire romain d’Occident et l’émergence de nouveaux pouvoirs barbares. Dans ce contexte de vide politique et d’instabilité, Riwal Meur Marzhou (vers 480-520) s’impose comme une figure centrale de l’histoire bretonne, chef du royaume de Domnonée qui s’étend sur les deux rives de la Manche actuelle. Considéré comme le fondateur de la lignée des rois domnonéens, Riwal incarne la légitimité britto-romaine face aux envahisseurs, notamment les Francs.

L’Armorique au Crépuscule de Rome

L’Armorique, englobant l’actuelle Bretagne et des régions adjacentes comme la Normandie occidentale, est au Ve siècle une province marginale de l’Empire romain d’Occident. Jusqu’au retrait progressif des légions romaines vers 410, elle est intégrée au Tractus Armoricanus, une zone fortifiée destinée à protéger la Gaule contre les pirates saxons et frisons. Cependant, la désintégration de l’Empire, culminant avec la déposition de Romulus Augustule en 476, laisse l’Armorique dans un vide administratif. Les élites gallo-romaines locales, mentionnées dans les Notitia Dignitatum, maintiennent un semblant d’ordre, mais leur influence s’effrite face aux incursions de divers groupes : Francs, Saxons, Frisons, Goths.

Dès le IVe siècle, des Bretons insulaires, originaires de la province romaine de Britannia (actuels Pays de Galles, Cornouailles, Devon), commencent à migrer vers l’Armorique. Ces migrations, initialement limitées, s’intensifient au Ve siècle sous la pression des invasions anglo-saxonnes en Britannia. Figures légendaires comme Magnus Maximus (empereur autoproclamé, 383-388) ou Konan Meriadog sont associées à ces premiers mouvements. Ces Bretons ne sont pas des envahisseurs, mais des défenseurs d’une terre celtique romanisée et chrétienne menacée, agissant dans la continuité des garnisons impériales.

Au début du VIe siècle, époque de Riwal, l’Armorique devient le théâtre d’une colonisation bretonne plus structurée. Les migrants s’organisent en royaumes : la Domnonée (nord de la Bretagne, Côtes-d’Armor, Ille-et-Vilaine, partie du Finistère), la Cornouaille (sud du Finistère), et le Broërec (région de Vannes). Ces entités posent les fondations de la Bretagne, ancrée dans une identité britto-romaine et une foi chrétienne précoce, en opposition aux peuples barbares païens.

Riwal Meur Marzhou

Riwal Meur Marzhou, également connu sous les noms de Riwalus, Rivelen Mor Marthou, ou Riwall Meur Marzhou, est un chef breton actif vers 500-520. Les sources sur sa vie, principalement la Chronique de Saint-Brieuc, le Chronicon Brittanicum, et les Vita de saints bretons (Vita de Winnoc, Vita de Lunaire, Vita de Guénaël), sont tardives (IXe-XIe siècles) et mêlent faits historiques et récits hagiographiques. Cette nature semi-légendaire rend le portrait de Riwal complexe, mais il demeure une figure clé de l’histoire bretonne.

Selon la Chronique de Saint-Brieuc, Riwal est le fils de Deroch, descendant d’une lignée remontant à Gwithol, Urbien, Catou, et Gerenton, chefs liés à la Domnonée insulaire (Dumnonia en Britannia). Il arrive en Armorique vers 500-513 à la tête d’un groupe de clans bretons, fuyant les invasions anglo-saxonnes. Établi comme roi de la Domnonée méridionale, il consolide son autorité dans le nord de l’Armorique, centrée autour de régions comme Saint-Brieuc et Tréguier. Son surnom, Meur Marzhou (« grand chevalier »), reflète ses exploits militaires et son charisme, qui lui permettent de fédérer les Bretons face aux menaces extérieures.

Les sources hagiographiques le présentent comme un chef pieux, soutenant la christianisation celtique de l’Armorique. Par exemple, la Vita de Saint Brieuc raconte que Riwal, guéri par le saint, lui offre des terres pour fonder un monastère. De même, la Vita de Lunaire associe Riwal à la fondation d’églises, renforçant son rôle dans l’enracinement spirituel et politique des Bretons. Cependant, certaines Vita, comme celle de Guénolé, le qualifient à tort de « roi de Cornouaille », une confusion probable avec la Domnonée, illustrant les imprécisions des textes tardifs.

La Légitimité Bretonne : Héritiers de l’Empire Romain

Les Bretons de l’époque de Riwal se distinguent par leur identité britto-romaine, qui leur confère une légitimité unique en Armorique. Issus de la Britannia romaine, ils perpétuent une culture marquée par plusieurs éléments dont la langue celtique, proche du gallois, qui diffère du latin des Gallo-Romains et des dialectes germaniques des Francs.

Contrairement aux Francs, païens jusqu’à la conversion tardive de Clovis (vers 496-506), les Bretons sont chrétiens depuis des siècles, fondant des monastères sous l’égide de saints comme Brieuc, Lunaire, ou Guénolé. Ce christianisme, avec ses pratiques monastiques distinctes, ancre leur légitimité spirituelle.

Héritée des auxiliaires romains, leur structure militaire leur permet de défendre efficacement l’Armorique contre les envahisseurs, comme les Francs, les Saxons ou les Frisons.

En tant que citoyens de l’Empire romain (jusqu’à 410 en Britannia et probablement au delà), les Bretons se perçoivent comme les continuateurs de l’ordre romain en Armorique. Après la chute de l’Empire en 476, l’Armorique devient une région sans administration centrale. Les Bretons comblent ce vide, s’imposant comme les protecteurs légitimes d’une terre celtique et romanisée menacée. Sous Riwal, cette légitimité se concrétise par des actions concrètes : il combat les « barbares » (Goths, Frisons) menés par un chef nommé Corsold (vers 509, selon la Vita de Winnoc), redistribue les terres conquises à ses compatriotes, et soutient la fondation d’institutions ecclésiastiques, renforçant l’identité bretonne.

L’Illégitimité Franque : Usurpateurs de l’Héritage Romain

Les Francs, sous la dynastie mérovingienne, émergent comme une puissance dominante en Gaule après la victoire de Clovis sur le général romain Syagrius à Soissons en 486. Syagrius, fils d’Aegidius, dirigeait le « domaine de Soissons », une enclave romaine considérée comme la dernière entité de l’empire romain en Gaule du Nord. Sa défaite marque la fin de l’autorité romaine formelle. Cette victoire des barbares francs, décrite par Grégoire de Tours (Histoire des Francs, livre II), fait d’eux des usurpateurs aux yeux des Bretons, qui revendiquent légitimement une filiation directe avec Rome.

L’Armorique n’est pas sous l’autorité de Syagrius, et encore moins des Francs après 486. Située à l’ouest, elle échappe au contrôle du domaine de Soissons et est dominée par les Britto-romains et des élites gallo-romaines résiduelles. Les sources, comme Grégoire de Tours, ne mentionnent aucune présence franque significative en Armorique au Ve-VIe siècle, confirmant l’absence d’occupation ou d’administration franque.

Après 486, Clovis, destruction de l’ordre impérial en Gaule, revendique de manière opportuniste l’héritage romain pour légitimer son règne, notamment après sa conversion au christianisme catholique (vers 496-506), qui lui attire le soutien de l’Église et des élites gallo-romaines. Cependant, cette revendication est illégitime en Armorique, où les Bretons, chrétiens de longue date et héritiers de la culture romano-celtique, incarnent la continuité avec Rome.

Au début du VIe siècle, les Francs, basés en Neustrie (Soissons, Paris) et en Austrasie, concentrent leurs efforts sur la Gaule centrale et méridionale (ex. : victoire contre les Wisigoths à Vouillé en 507). L’Armorique, avec ses terrains difficiles (marécages, forêts, côtes exposées), n’est pas une priorité. Les incursions franques, comme celles contre le Broërec au VIe siècle, sont rares et inefficaces, prouvant leur incapacité à imposer une autorité durable.

La Manipulation des Vies de Saints

Les principales sources sur Riwal, comme la Vita de Winnoc, la Vita de Lunaire, ou la Chronique de Saint-Brieuc, sont des textes hagiographiques rédigés entre le IXe et le XIe siècle, bien après les événements. Ces récits, produits dans un contexte de pression carolingienne sur la Bretagne, manipulent l’histoire pour des raisons politiques et religieuses.

Les Vita mentionnent un « traité » entre Riwal et les Francs (vers 513, sous Childebert Ier), suggérant que les Bretons ont obtenu l’autorisation de s’installer en Domnonée. Cette idée reflète une réécriture tardive, influencée par les tentatives d’intégration progressive de la Bretagne dans la sphère franque sous les Carolingiens (VIIIe-IXe siècles). En réalité, au début du VIe siècle, les Francs n’ont aucun contrôle sur l’Armorique, rendant un tel accord improbable ou purement symbolique.

Sous l’Empire carolingien, la Bretagne organisée politiquement et militairement est soumise à des campagnes militaires franques comme celles de Charlemagne ou de Louis le Pieux. Les hagiographies, rédigées dans ce contexte, minimisent l’indépendance bretonne pour présenter les Bretons comme des alliés des Francs, même au VIe siècle, une période où cette alliance est anachronique. Cette manipulation sert à justifier l’intégration de la Bretagne dans le cadre franc, en contraste avec la réalité d’une Armorique autonome sous Riwal.

La Bretagne Forgée Contre les Barbares

La Bretagne, sous l’impulsion de chefs comme Riwal, se forge comme une entité distincte et autonome face aux menaces barbares, qu’il s’agisse des Goths, des Frisons, des Saxons, ou des Francs, des envahisseurs germaniques avant leur christianisation.

Selon la Vita de Winnoc, Riwal combat et défait un chef barbare nommé Corsold (vers 509), représentant des Goths et des Frisons installés en Armorique. Cette victoire permet aux Bretons de s’approprier des terres libérées, qu’ils redistribuent à leurs clans, consolidant la Domnonée comme un bastion breton. Cet acte de défense positionne Riwal comme un successeur des garnisons romaines, protégeant l’Armorique contre les envahisseurs.

Les Bretons maintiennent une indépendance farouche face aux Francs. Bien que les sources mentionnent un « traité », ce dernier était probablement une alliance tactique pour éviter un conflit direct, sans suzeraineté franque. Les royaumes bretons, comme le Broërec sous Waroch, défient régulièrement les Francs au VIe siècle, refusant de payer tribut. Cette résistance culmine avec des figures comme Judicaël (VIIe siècle), qui négocie avec les Mérovingiens tout en préservant l’indépendance bretonne.

Les Bretons, sous Riwal, fondent des monastères et des églises (ex. : Saint-Brieuc, Lanrivoaré), ancrant leur identité dans le christianisme celtique. Cette christianisation, distincte des pratiques franques, renforce leur cohésion face aux barbares. Les saints bretons deviennent des symboles de résistance culturelle, incarnant une Bretagne spirituellement et politiquement autonome.

L’Héritage de Riwal

Riwal Meur Marzhou meurt vers 520, laissant un héritage durable. Il est considéré comme l’ancêtre des rois de Domnonée, dont Judicaël, figure majeure du VIIe siècle. Son action, en consolidant la Domnonée et en repoussant les barbares, pose les fondations d’une Bretagne indépendante. Son nom survit dans la toponymie bretonne (ex. : Saint-Rivoal, Lanrivoaré, Pleyber-Riwall) et dans le calendrier breton, où il est fêté le 19 septembre, bien que non reconnu comme saint par l’Église catholique. Les traditions locales, comme le « cimetière des Saints » à Lanrivoaré, témoignent de son culte populaire.

Olier Kerdrel

Sources Primaires

  • Chronique de Saint-Brieuc (XIVe-XVe siècles) : Généalogie et rôle de Riwal en Domnonée.
  • Chronicon Brittanicum (XVe siècle) : Arrivée de Riwal vers 513 et « traité » avec les Francs.
  • Vita de Winnoc (IXe-Xe siècles) : Victoire de Riwal sur Corsold et accord avec les Francs.
  • Vita de Saint Brieuc (IXe-XIe siècles) : Riwal offre des terres à Saint Brieuc.
  • Vita de Lunaire (IXe-Xe siècles) : Riwal et la fondation d’églises en Domnonée.
  • Vita de Guénaël (XIe siècle) : Confusion de Riwal comme « roi de Cornouaille ».
  • Histoire des Francs de Grégoire de Tours (fin VIe siècle) : Contexte des relations Bretons-Francs.

Sources Secondaires

  • Fleuriot, Léon. Les Origines de la Bretagne (1980). Payot, Paris.
  • La Borderie, Arthur de. Histoire de Bretagne (1896-1914). Presses Universitaires de Rennes.
  • Merdrignac, Bernard. Les Saints bretons entre histoire et légende (2008). Presses Universitaires de Rennes.
  • Cassard, Jean-Christophe. Les Bretons et la mer (1996). Presses Universitaires de Rennes.
  • Giot, Pierre-Roland, Fleuriot, Léon, et al. Les Premiers Bretons d’Armorique (2003). Presses Universitaires de Rennes.
  • Jones, Michael. The Creation of Brittany: A Late Medieval State (1988). Hambledon Press.

Sources Complémentaires

  • Notitia Dignitatum (fin IVe-début Ve siècle) : Structures romaines en Armorique.
  • Ammien Marcellin, Res Gestae (IVe siècle) : Bretons comme auxiliaires romains.

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By La rédaction

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