La révolte des Silures, qui s’étend de 48 à 78 ap. J.-C., est un chapitre fascinant de l’histoire du Pays de Galles, un pays profondément ancré dans la culture celtique. Menée par la tribu des Silures, sous la direction du chef légendaire Caratacus, cette résistance contre l’occupation romaine incarne l’esprit indomptable des peuples celtiques face à une superpuissance impériale. Bien que les Silures aient finalement été soumis, leur lutte acharnée a marqué l’histoire galloise, laissant un héritage de courage et d’identité culturelle. Cet article explore en détail les origines de la révolte, son déroulement, ses acteurs clés, ses conséquences, et son importance dans le contexte plus large de l’histoire celtique et romaine.
Une Britannia celtique face à Rome
Carte tribale de l’île de Bretagne, 10 après JC
Au Ier siècle ap. J.-C., la Britannia (actuelle Grande-Bretagne) était un patchwork de tribus celtiques, chacune avec ses propres traditions, chefs et territoires. Les Gallois, descendants des Celtes brittoniques, vivaient dans des communautés organisées autour de forteresses de collines (hillforts), pratiquant une agriculture mixte et maintenant une culture riche en art, mythologie et pratiques spirituelles druidiques. Leur langue, le brittonique, était un ancêtre des langues galloises modernes, et leur société était hiérarchisée, avec des chefs guerriers à la tête des tribus.
Les Silures, établis dans le sud-est du Pays de Galles (actuels comtés de Glamorgan, Monmouthshire et Brecon), étaient l’une de ces tribus. Décrits par l’historien romain Tacite comme ayant un teint basané et des cheveux bouclés, ils étaient réputés pour leur férocité et leur attachement à leur indépendance. Leur territoire, composé de vallées boisées, de collines escarpées et de rivières, offrait un terrain idéal pour la guérilla.
L’invasion romaine de 43 ap. J.-C.
En 43 ap. J.-C., l’empereur Claude lança une invasion massive de la Britannia, motivée par le désir de prestige impérial et l’accès aux ressources de l’île, notamment l’étain et l’or. Quatre légions romaines, soit environ 20 000 hommes, appuyées par des auxiliaires, débarquèrent dans le sud-est de l’île. Les Romains rencontrèrent une résistance initiale de tribus comme les Catuvellauni, dirigées par Caratacus et son frère Togodumnus. Après plusieurs défaites, Caratacus, refusant de se rendre, se replia vers l’ouest, dans les terres des Silures et des Ordovices, où il rallia les tribus locales à sa cause.
Les Romains, sous le commandement du gouverneur Aulus Plautius, consolidèrent rapidement leur contrôle sur le sud-est, établissant des forteresses et des routes. Cependant, les régions occidentales, notamment le Pays de Galles, restaient insoumises. Les Silures, en particulier, devinrent un obstacle majeur à la romanisation de la Britannia.
L’occupation romaine imposait des taxes, des réquisitions et une administration centralisée, souvent perçues comme oppressives par les Celtes. Les druides, gardiens de la spiritualité celtique, étaient persécutés, car Rome voyait en eux des instigateurs de révoltes. Dans ce climat de mécontentement, Caratacus, désormais un fugitif, trouva un écho parmi les Silures, dont l’esprit guerrier et la connaissance du terrain en faisaient des alliés redoutables.
La révolte des Silures : Une guerre de résistance
Guerrier celte
En 48 ap. J.-C., les Silures, galvanisés par Caratacus, commencèrent à harceler les forces romaines stationnées dans leur région. Leur stratégie reposait sur la guérilla : des attaques rapides contre les convois, les avant-postes et les patrouilles romaines, suivies de retraites dans les forêts et les collines. Le terrain accidenté du Pays de Galles, avec ses vallées étroites et ses pentes abruptes, était un cauchemar pour les légions romaines, habituées aux batailles rangées sur des plaines ouvertes.
Caratacus, décrit par Tacite comme un chef charismatique et stratège, coordonnait ces opérations avec une grande habileté. Il ne se contentait pas de diriger les Silures, mais cherchait à unir les tribus brittoniques contre Rome, notamment les Ordovices du nord du Pays de Galles. Ses discours enflammés, rapportés par les sources romaines, exaltaient la liberté et l’héritage celtique, galvanisant ses partisans.
Les Romains, sous le commandement du nouveau gouverneur Publius Ostorius Scapula, répondirent par une campagne brutale. Ostorius tenta de pacifier la région en construisant des forts, comme celui de Caerleon (Isca Silurum), pour contrôler les Silures. Cependant, les embuscades répétées des Silures infligèrent des pertes significatives, démoralisant les troupes romaines.
La bataille de 51 ap. J.-C.
Pays de Galles
En 51 ap. J.-C., Caratacus tenta une confrontation plus directe, espérant infliger une défaite décisive aux Romains. Il choisit un site stratégique, probablement dans les collines du Shropshire ou du nord du Pays de Galles, où une rivière et des pentes raides limitaient les mouvements des légions. Selon Tacite, Caratacus exhorta ses guerriers en déclarant : « C’est ici que nous gagnons notre liberté, ou que nous mourons en la défendant. »
Malgré leur courage, les Silures et leurs alliés étaient désavantagés. Leur armement, composé de lances, d’épées et de boucliers légers, ne pouvait rivaliser avec la discipline et l’équipement des légions romaines, appuyées par des archers et des catapultes. La bataille fut un désastre pour les Celtes. Caratacus échappa de justesse à la capture, mais sa famille fut faite prisonnière. Il se réfugia chez la tribu des Brigantes, dans le nord de l’Angleterre, mais leur reine, Cartimandua, le livra aux Romains pour préserver son alliance avec Rome.
Caratacus fut envoyé à Rome, où son éloquence impressionna l’empereur Claude. Dans un discours rapporté par Tacite, il déclara : « Si j’avais été moins prospère, je ne serais pas ici. Vous êtes grands, mais la grandeur implique la clémence. » Épargné, il vécut ses derniers jours en exil, mais sa capture marqua un coup dur pour la résistance celtique.
La poursuite de la révolte (51-78 ap. J.-C.)
La capture de Caratacus n’éteignit pas la révolte des Silures. Privés de leur chef, ils poursuivirent la guérilla avec une détermination farouche. Tacite note que les Silures « ne pouvaient être domptés ni par la force ni par la clémence ». Ils continuèrent à tendre des embuscades, détruisant parfois des unités romaines entières. En 52 ap. J.-C., ils infligèrent une défaite humiliante à une légion romaine, tuant son commandant et plusieurs centurions.
Les Romains, frustrés, intensifièrent leurs efforts. Ostorius Scapula mourut en 52 ap. J.-C., épuisé par la campagne. Ses successeurs, comme Aulus Didius Gallus, adoptèrent une approche plus défensive, renforçant les forts et évitant les engagements directs. Ce n’est qu’avec l’arrivée du gouverneur Sextus Julius Frontinus, vers 74 ap. J.-C., que les Romains lancèrent une offensive décisive. Frontinus utilisa une combinaison de campagnes militaires et de travaux d’ingénierie, comme des routes et des ponts, pour pénétrer le territoire des Silures.
En 78 ap. J.-C., sous le commandement de Julius Agricola, les Silures furent finalement soumis après trois décennies de résistance. Agricola établit un réseau de forts permanents et entama la romanisation de la région, intégrant les élites locales dans l’administration romaine.
Conséquences et héritage
Anglesey, dernier bastion druidique
La soumission des Silures permit aux Romains de consolider leur contrôle sur le Pays de Galles, ouvrant la voie à la conquête des Ordovices et à la destruction du centre druidique d’Anglesey en 60 ap. J.-C. Les Silures, bien que vaincus, conservèrent une certaine autonomie culturelle sous l’occupation romaine. La ville de Caerleon devint un centre administratif et militaire, tandis que des villae romaines et des thermes apparurent dans les vallées galloises.
Cependant, la révolte des Silures avait révélé les limites de la puissance romaine. Leur résistance prolongée força Rome à maintenir une présence militaire coûteuse dans la Britannia occidentale, détournant des ressources d’autres fronts impériaux.
Héritage culturel et historique
La révolte des Silures est devenue un symbole de la résilience celtique galloise. Caratacus, bien que capturé, reste une figure héroïque dans la mémoire collective, incarnant le combat pour la liberté face à l’oppression. Son nom, dérivé du celte Caratācos (« aimé » ou « cher »), résonne encore dans les récits gallois.
L’histoire des Silures a également influencé la littérature et l’identité galloises. Au Moyen Âge, les bardes gallois chantaient les exploits des chefs celtiques, et des figures comme Caratacus furent intégrées dans les récits épiques, comme ceux du Mabinogion. À l’époque moderne, la redécouverte de l’héritage celtique, notamment lors du renouveau culturel gallois du XIXe siècle, a ravivé l’intérêt pour cette période.
Aujourd’hui, des sites archéologiques comme les forts romains de Caerleon ou les hillforts celtiques de Llanmelin témoignent de cette époque. Les musées gallois, tels que le National Museum Cardiff, exposent des artefacts de l’âge du fer et de l’occupation romaine, rappelant la richesse de la culture silure.
Une leçon de résistance
La révolte des Silures illustre la capacité des petites communautés à défier des empires, une thématique universelle. Leur usage du terrain, leur cohésion tribale et leur refus de se soumettre, même face à une défaite inévitable, font écho à d’autres luttes historiques, comme celles des Irlandais ou des Écossais contre la domination anglaise.
La révolte des Silures (48-78 ap. J.-C.) est bien plus qu’un simple épisode militaire. Elle incarne l’esprit celtique gallois, fait de courage, d’ingéniosité et d’attachement à l’identité culturelle. Sous la conduite de Caratacus, les Silures ont tenu tête à l’Empire romain pendant trois décennies, défiant une machine militaire apparemment invincible. Leur héritage perdure dans l’imaginaire gallois, où ils sont célébrés comme des défenseurs de la liberté. En explorant cet événement, nous comprenons mieux non seulement l’histoire du Pays de Galles, mais aussi la résilience des peuples celtiques face aux bouleversements de l’histoire.
Olwen Kerdrel
Sources :
Tacite, Annales et Histoires.
Webster, G. (1993). The Roman Invasion of Britain.
Davies, J. (2007). A History of Wales.
Cunliffe, B. (2010). Iron Age Communities in Britain.
National Museum Wales, archives archéologiques.
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