Le 4 octobre 1977, un événement marque l’histoire contemporaine de la Bretagne : la signature de la Charte culturelle bretonne à Rennes. Paraphée par le Premier ministre Raymond Barre pour l’État français, cette charte reconnaît officiellement la « personnalité culturelle » de la Bretagne. Annoncée par le président Valéry Giscard d’Estaing lors de son discours à Ploërmel le 9 février 1977, elle s’inscrit dans un renouveau identitaire breton porté par l’Emsav et des revendications pour préserver la langue bretonne et les traditions celtiques face à la centralisation française.
La Charte culturelle bretonne, structurée en 14 articles, vise à « reconnaître la valeur et la dignité » de la culture bretonne et à « garantir le libre épanouissement » de ses expressions, incluant les langues (breton et gallo), les traditions et les arts. Elle se présente comme une culture « ouverte sur l’extérieur et sur l’avenir », transcendant le folklore rural. Ses principaux apports incluent :
- Reconnaissance symbolique : L’État français admet pour la première fois la spécificité bretonne comme une richesse nationale. Cette reconnaissance brise le tabou de l’uniformité républicaine, après des décennies de répression où le breton était stigmatisé comme un « signe d’indigénité ».
- Institutions et financements : La charte crée le Conseil culturel de Bretagne (1978) pour coordonner les projets culturels et l’Institut culturel de Bretagne (1981) pour la recherche et la diffusion. Entre 1978 et 1982, elle mobilise 30 millions de francs pour l’équipement (moitié État, moitié départements) et 15 millions pour le fonctionnement, générant plus de 100 millions d’euros de dépenses culturelles (valeur 2025).
- Enseignement et médias : L’article 5 engage un « soin particulier » pour le breton dans l’enseignement, ouvrant la voie à la première école Diwan à Lampaul-Guimiliau (1977), pionnière de l’immersion. Pour les médias, elle prévoit une augmentation des émissions en breton, passant de 20 minutes hebdomadaires à la télévision (FR3 Bretagne) à des créneaux doublés dès 1978.
Ces avancées alimentent le renouveau culturel des années 1970-1980, avec une explosion des associations (cercles celtiques, fest-noz) et un tourisme culturel pesant 2 milliards d’euros annuels en 2025. L’historien Francis Favereau souligne que la charte a « amélioré l’enseignement du breton » et créé un écosystème institutionnel pérenne.
Les limites : Un engagement timide sans portée légale
Malgré ces apports, la charte est un « programme minimum », fruit de négociations tendues où l’État impose des « corrections » limitant son ambition. Expirée en 1982 sans renouvellement significatif, elle manque de force contraignante, restant un engagement moral. Ses faiblesses majeures incluent :
- Insuffisance linguistique : L’article 5 promeut l’enseignement du breton, mais privilégie des programmes en français sur le patrimoine, sans imposer l’immersion ni accorder un statut co-officiel. Le breton reste « sérieusement en danger » selon l’UNESCO (2010), faute de revitalisation structurelle.
- Financements limités : Les 45 millions de francs annuels (12 millions d’euros actuels) sont insuffisants face aux besoins, et leur distribution dépend de l’État, souvent réticent. Un article du Monde de 1983 note que la charte n’a pas « réparé les injustices faites à la langue bretonne ».
- Cadre jacobin : Entravée par l’article 2 de la Constitution (« La langue de la République est le français »), la charte cantonne la Bretagne à un « particularisme local » sans autonomie réelle.
Critiques : Des voix militantes contre un compromis insuffisant
La charte suscite des critiques immédiates pour son manque d’ambition. Yann Fouéré, figure de l’Emsav, la qualifie de « programme minimum de reconnaissance de la spécificité bretonne », octroyé pour apaiser les revendications autonomistes sans remettre en cause le centralisme français.
Émile Le Scanff, dit Glenmor, exprime sa frustration dans une interview de 1977 : « Nous avons cherché, tout le mouvement breton a été braqué sur le dialogue. Nous avons fait des pétitions, les élus bretons ont créé la loi-programme pour la Bretagne. Nous revendiquons pour notre langue, on nous promet une charte culturelle. C’est une solution de désespoir. »
La situation actuelle : Une langue au bord de l’extinction
En 2025, le breton est plus que jamais en crise. Le sondage TMO (janvier 2025) recense 107 000 locuteurs en Bretagne historique, contre 214 000 en 2018 – une chute de 50 % en six ans et de 90 % depuis 1950 (1 million). Avec un taux de pratique à 2,7 %, 78 % des locuteurs âgés de plus de 60 ans, et une transmission familiale quasi nulle (<1 %), l’UNESCO maintient le breton comme « sérieusement en danger ».
Des progrès existent : 13 000 élèves suivent un enseignement bilingue (Diwan, Dihun, réseaux publics), en hausse de 10 % depuis 2018 grâce à la loi Molac (2021), qui intègre les langues régionales dans l’horaire scolaire. La Région Bretagne alloue 13 millions d’euros en 2027 (+3,6 millions depuis 2023) pour l’enseignement et les médias.
Des initiatives comme Breizh a live (septembre 2025) mobilisent pour un « combat de tous les jours ». Mais Fulup Jakez, directeur de l’Ofis Publik ar Brezhoneg, alerte : « Ces données ne sont pas des surprises, mais des évolutions démographiques connues ; sans actions fortes, la langue disparaîtra. »
Olier Kerdrel
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