Éditorial : « Brest, l’âme ouvrière d’Armorique trahie par Paris » – par René Morvan

Il fut un temps, pas si lointain, où les rues de Recouvrance résonnaient de chants de marins, de coups de marteau sur les coques d’acier, et des éclats de voix en parlé brestois — ce sabir franc et rugueux, forgé par les vagues, la guerre et la solidarité d’un peuple. Ce temps-là, c’est celui de l’Arsenal, des ouvriers bretons qui construisaient les navires de guerre de la République française… au service d’un État qui ne leur a jamais rendu la pareille.

Brest n’a jamais été une ville comme les autres. Elle est une forteresse de granit, dressée face à l’océan, battue par les vents, fidèle à ses racines populaires et bretonnes. C’est ici que l’on travaillait dur — dans les cales, sur les docks, dans les ateliers — à construire, à réparer, à faire tourner la grande machine militaire de la France. Brest, colonie ouvrière de l’État centralisateur, zone d’ombre que Paris ne regarde que quand il s’agit d’y envoyer ses consignes, ses uniformes, ses impôts.

Mais ce que la République oublie trop vite, c’est que Brest n’est pas qu’un port militaire. C’est un creuset de culture populaire, une terre de luttes sociales, une ville qui a élevé des générations entières dans l’honneur du travail manuel, de la camaraderie et du franc-parler.

La mémoire du fer et du bistrot

Ceux qui ont connu le vieux Brest, celui d’avant les technopoles et les « pôles de compétitivité », se souviennent des bistrots ouvriers : Le Bar de l’Arsenal, Le Récif, Chez Jeannot, La Chope d’Or… Autant de lieux qui étaient bien plus que des points de chute : ils formaient le tissu vivant de la cité. On y retrouvait les copains de chantier, on y jouait aux cartes, on y parlait fort, avec ce parlé brestois si imagé :

“T’as vu l’père Le Gall ? Y z’ont encore foutu l’vélo dans la cale, gast !”

“Ouais, l’arsouil’ y s’est torché la gueule au pif de chez Mémène, comme d’hab’ ! Y’avait skiff de ce qu’on dit…”

C’est un patois populaire, enracinée, qui sent la mer, la clope et la sueur. Une langue qui faisait nation à elle seule, bien loin du français aseptisé des ministères.

Une culture niée, une économie sacrifiée

La fermeture progressive des chantiers, les restructurations de l’Arsenal, la casse du service public — tout cela a été décidé à Paris, sans l’avis des Bretons, sans respect pour les vies brisées ni pour le tissu économique local. Brest a été trahie. Et avec elle, toute une culture populaire s’est effondrée. Les petits commerces ont fermé. Les bistrots ont disparu. Les familles ouvrières ont été remplacées par des programmes “d’urbanisme rénovateur” qui ne respectent ni l’histoire, ni l’humain.

L’indépendance ou l’effacement

Brest est l’exemple parfait de ce que produit la dépendance à l’État français : une richesse produite localement, drainée vers le centre ; une culture populaire vivante, folklorisée ou éradiquée ; une langue bretonne marginalisée, quand elle n’est pas moquée. Le parlé brestois, le breton ouvrier, la gouaille des faubourgs… tout cela s’efface, faute d’être reconnu comme légitime.

Il est temps de redresser la tête

Il est temps que Brest, et la Bretagne tout entière, reprennent leur destin en main.
Nous ne voulons plus être l’atelier militaire de Paris, ni la carte postale pittoresque pour touristes.

Nous voulons une Bretagne libre, où la classe ouvrière soit honorée, où notre langue vive, où nos ports ne soient pas que des zones d’attente mais des foyers d’avenir.
Nous voulons une nation bretonne, solidaire, enracinée, ouvrière et fière.

Brest n’est pas morte. Elle dort.

Et quand elle se réveillera, c’est toute la Bretagne qui se lèvera avec elle.

Breizh dizalc’h, Brest digabestr.

Ronan Morvan.

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By La rédaction

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