Au cœur des terres bretonnes, où la mer et le vent sculptent les mémoires, deux poches de résistance allemande, Lorient et Saint-Nazaire, se dressèrent comme des sentinelles obstinées face à l’avancée alliée. Ces bastions prolongèrent leur lutte jusqu’au 11 mai, incarnant une résilience forgée dans la discipline et l’ingéniosité. Leur histoire, loin des éclats héroïques des grandes batailles, est celle d’une ténacité méthodique, d’une organisation rigoureuse et d’un esprit militaire qui, dans l’ombre de la défaite, refusa de plier immédiatement. À travers les fortifications de béton, les privations et les combats, Lorient et Saint-Nazaire écrivirent une chronique de devoir et d’endurance, où la rigueur germanique se mesura au rouleau compresseur des forces alliées et communistes.
Lorient : Une Forteresse sous Siège
Dès août 1944, après la percée alliée d’Avranches et la débâcle allemande en Normandie, la poche de Lorient devint un îlot de résistance. Sous le commandement du général Wilhelm Fahrmbacher, un officier expérimenté de la Wehrmacht, environ 26 000 hommes – soldats de la 265e division d’infanterie, marins, et unités disparates – se retranchèrent dans un périmètre s’étendant de la rivière Laïta à Plouharnel, sur près de 24 kilomètres. Au cœur de cette forteresse se trouvait la base sous-marine de Keroman, un complexe monumental construit entre 1941 et 1943 pour abriter les U-Boote de la Kriegsmarine. Ses murs de béton armé, épais de plusieurs mètres, en faisaient un symbole d’invincibilité, défendu par un réseau dense de fortifications : blockhaus, champs de mines, barbelés, et postes de tir individuels appelés « tobruks ».
Face à eux, les forces alliées, initialement menées par la 94e division d’infanterie américaine, puis par la 66e division du général Herman Kramer à partir de décembre 1944, imposèrent un blocus implacable. Elles étaient soutenues par 12 000 miliciens des Forces françaises de l’Ouest (FFO), incluant des unités FFI et des bataillons de chasseurs alpins. Les Alliés, bien que supérieurs en nombre et en ressources, optèrent pour un siège prolongé plutôt qu’un assaut frontal, cherchant à épuiser les défenseurs tout en minimisant leurs pertes. Les bombardements aériens et d’artillerie, notamment ceux de la RAF et de l’USAAF, visaient à briser le moral des troupes, ciblant des points stratégiques comme le clocher de Guidel, utilisé comme poste d’observation par les Allemands. Entre novembre 1944 et février 1945, ces frappes s’intensifièrent, réduisant des secteurs entiers de la poche en décombres.
Pourtant, Fahrmbacher et ses hommes firent preuve d’une résilience remarquable. Conscient que la poche était coupée de tout ravitaillement extérieur, le commandement allemand organisa une autarcie ingénieuse. Une boulangerie fut établie pour produire du pain quotidien, un moulin à céréales transforma les grains locaux, et une presse à huile assura des réserves alimentaires. Une distillerie artisanale, installée dans un hangar, fabriqua 5 000 litres de calvados, un modeste réconfort pour les soldats transis par l’hiver breton. La base aéronavale de Kerlin-Bastard, inutilisable pour l’aviation, fut reconvertie en ferme : 7 200 têtes de bétail y furent élevées, et des potagers cultivés par les troupes fournissaient des légumes essentiels. Cette économie de guerre, planifiée avec une précision toute germanique, permit de maintenir la cohésion des unités malgré les privations.
Le général Fahrmbacher remet son arme au général américain Kramer dans un champ à Caudan à la suite de la reddition des soldats allemands de la poche de Lorient le 10 mai 1945.
Les combats, bien que sporadiques, restaient intenses. Les Allemands lançaient des patrouilles nocturnes pour contrer les infiltrations des FFI, et leurs batteries côtières, comme celle de Beg-er-Lann, répondaient aux tirs alliés avec une précision redoutable. Le 7 mai 1945, une offensive d’artillerie alliée d’une violence exceptionnelle martela la poche, prélude à la capitulation générale. Fahrmbacher, informé de l’armistice signé à Reims, entama des pourparlers le 8 mai. L’acte de reddition fut signé à Étel, dans une ambiance solennelle mais sans emphase. Le 10 mai, à Caudan, le général remit officiellement ses armes au général Kramer, ses hommes défilant en ordre, épuisés mais disciplinés, sous le regard des vainqueurs. La poche de Lorient, après neuf mois de siège, s’éteignit dans une dignité militaire contenue.
Saint-Nazaire : La Sentinelle de l’Estuaire
À 100 kilomètres au sud, la poche de Saint-Nazaire formait un autre bastion de résistance, sous le commandement du général Hans Junck. Couvrant 1 500 km², de La Roche-Bernard à Pornic, cette forteresse englobait le port et la base sous-marine, un complexe stratégique abritant les U-Boote et servant de verrou à l’estuaire de la Loire. Environ 30 000 hommes, issus de la 275e division d’infanterie, de unités de la Kriegsmarine et de groupes improvisés, défendaient ce périmètre. Leurs fortifications, parmi les plus élaborées du Mur de l’Atlantique, comprenaient une ceinture antichar longeant la Vilaine, des nids de mitrailleuses, des batteries côtières comme celle de La Courance, et un réseau de tranchées renforcées par des champs de mines.
Les forces alliées, menées par la 66e division d’infanterie américaine et renforcées par la Brigade Charles Martel ainsi que des miliciens FFI, maintinrent une pression constante dès août 1944. Les combats, souvent limités à des escarmouches et des échanges d’artillerie, visaient à user les défenseurs. Les FFI, opérant en guérilla, harcelaient les patrouilles allemandes, tandis que l’artillerie alliée pilonnait les positions clés, comme la base sous-marine, dont les murs résistèrent aux obus les plus puissants. Les Allemands, isolés depuis neuf mois, faisaient face à des pénuries croissantes, leurs réserves de carburant et de munitions s’amenuisant à mesure que l’hiver s’installait.
Hans Junck
Junck, officier pragmatique, organisa la défense avec une discipline inflexible. Les sous-marins U-510 et U-255, bloqués dans la base sous-marine, furent démantelés pour alimenter des générateurs électriques, assurant l’éclairage et le fonctionnement des installations. Les vivres, rationnés avec soin, étaient complétés par des pêches locales et des cultures improvisées dans les zones agricoles de la poche. Les soldats, soumis à des rotations strictes pour éviter l’épuisement, maintenaient des patrouilles régulières, réparant les équipements avec des pièces de fortune. Les batteries côtières, comme celle de Saint-Marc, repoussaient les incursions navales alliées, tandis que des positions avancées, comme Donges, absorbaient les assauts terrestres.
Début mai 1945, la pression alliée s’intensifia. Les bombardements redoublèrent, et les FFI multiplièrent les sabotages, coupant les lignes de communication internes. Le 8 mai, Junck reçut l’ordre de capitulation générale, mais les négociations traînèrent, les Allemands cherchant à préserver l’ordre jusqu’au bout. Ce n’est que le 11 mai, à Bouvron, que la reddition fut officialisée. Les troupes allemandes, amaigries mais alignées, déposèrent leurs armes dans un silence pesant, sous les yeux des officiers alliés. La poche de Saint-Nazaire, dernier vestige du Mur de l’Atlantique, s’effaça sans tumulte, laissant derrière elle une empreinte de résistance obstinée.
Une Résistance dans l’Ombre
La ténacité des poches de Lorient et Saint-Nazaire, prolongée jusqu’au 11 mai 1945, ne changea pas l’issue de la guerre, mais elle révèle une facette de l’esprit militaire allemand : une discipline inébranlable, une capacité à organiser sous la contrainte, et une volonté de tenir face à l’inéluctable. À Lorient, l’autarcie ingénieuse permit de survivre à un siège de neuf mois, transformant une garnison isolée en une communauté autosuffisante. À Saint-Nazaire, la défense méthodique de l’estuaire, malgré les privations, repoussa la reddition jusqu’au dernier instant.
Ces hommes, loin des leurs, firent preuve d’une endurance imperturbable, où chaque jour gagné était un acte de devoir. Leur reddition, ordonnée et sans ostentation, scella une page d’histoire bretonne où la rigueur militaire se heurta à l’horizon d’une défaite annoncée. Les fortifications de béton témoignent encore de cette ténacité.
Olier Kerdrel
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